C’est seulement en quittant le parking à 5h20 que nous nous rendons compte que quelque chose a changé par rapport aux jours précédents (de nuit, aucune vision du ciel): Anne-Marie doit rester accrochée à la roue d’aile tant les turbulences sont fortes. Difficile d’ouvrir la verrière, il nous faut mettre la voiture devant le nez pour nous installer. La surprise arrive lors du décollage à 5h50 (10 minutes de retard sur le soleil): nous montons à vitesse sol nulle, comme un hélicoptère. Anne-Marie est effrayée et s’attend à un retour en détresse, nous nous contentons d’augmenter un peu la vitesse pour ne pas reculer, mais nous n’arriverons jamais en bout de piste! Pas de panique, le point de départ est exactement 90° à gauche pour 19km et nous nous laissons dériver tout doucement, avec une vitesse sol de 40-50 km/h. Le vent est 60 kt du 270°, soit le double des autres jours. On était venu pour le vent, on l’a eu!
Première surprise: ni les pentes ni le départ ne donnent. Il doit y avoir une opposition de phase mais avec un tel vent, le moteur est inutile puisqu’on ne peut pas voler vite, impossible de faire de la prospection et d’ailleurs nous perdons 500 m plein gaz face au vent sans avancer d’un mètre. Décision immédiate de retour au terrain et remise en route verticale terrain.
Deuxième surprise, le moteur est en panne. Il cafouille avec 600 t/min de moins et nous devons rapidement le remettre dans sa boîte, en local de la pente de service où un seul passage nous propulse de 2.000m à 3.000m! Nous étions partis avec une déclaration d’aller et retour de 2.000 km vers le Sud, ce sera pour une autre fois! A ce point, autant profiter des pentes et des ondes de la splendide vallée du Rio Limay en partant vers le Nord, et sans aucun arrêt nous arrivons à 5.800m sur l’aéroport de Chapelco pour y découvrir que les planeurs n’ont pas encore décollé, et ne décolleront d’ailleurs pas. Le ciel se bouche d’ailleurs sérieusement sur l’aéroport et vers le Nord, et force est de remettre cap au Sud, en passant cette fois par la plaine, fort des expériences précédentes.
Le vol vers le Sud est similaire à celui du 20 décembre, mais décalé de 50 km vers la plaine, exploitant exclusivement les ondes des collines et des mesetas de la Pampa. Le rôle de la Cordillère étant essentiellement de préparer la masse d’air à de bonnes conditions ondulatoires par assèchement, stabilisation et augmentation de la vitesse. Par contre, l’entrée maritime au sud de Corcovado, qui nous avait tant gênée lors du vol précédent, est aujourd’hui matérialisée par l’absence quasi totale de ressauts, les nuages (2/8) étant alignés dans le lit du vent. Pour trouver des rotors là-dedans il faudrait une boule de cristal! Toutes nos tentatives n’apportent au mieux que des 0,5 m/s et le local de José de San Martin s’impose au plus vite. Barre à gauche 90°, il faut sauver le vol, direction les collines à 25 km de l’aéroport. Plus au Sud, le ciel est bouché partout, même sur la Pampa, aucun ressaut, le vent (120 km/h) tourne au 220°, tout est clair. Nous sommes trop près du centre dépressionnaire, l’aventure sudiste est terminée, il faut remonter au Nord. Nous venons de parcourir 560 km en moins de 4 heures sans jamais nous arrêter, c’est déjà pas mal.
Les collines de la Loma Pelada (800 m sol) sont en phase avec celles au vent ainsi qu’avec les fonds de vallée et fonctionnent bien, et nous quittons 2.800m en cheminant le long des rotors et de l’orographie, petit jeu qui nous remonte à 7.800m au bout d’une heure trente et 260 km avec moins de 5 minutes d’arrêt.
Ce niveau convient au contrôleur de Bariloche qui nous laisse traverser vers le Nord à plus de 80 km sous le vent de la Cordillère, sous un voile de cirrus et d’alto stratus dont la déformation imposée par le ressaut nous balise notre route. Que faire maintenant? En priorité se faire plaisir, aller le plus loin possible, découvrir un monde nouveau, pas nécessairement des kilomètres en yo-yo. Nous décidons donc d’aller le plus loin possible au Nord en calculant le demi-tour en fonction de la moyenne réalisée sur la dernière branche. Le vent est toujours du 240°-250° pour 120 km/h, une petite composante arrière et l’altitude nous font apparaître des vitesses sol dépassant 330 km/h. Pourvu que çà dure! Mauvaise surprise du côté de mes intestins, qui protestent contre mon immobilité. Croisons les doigts!
Le ressaut d’Esquel,
un petit bijou toujours au rendez-vous
La plaine se couvre, trouver de bons trous devient de plus en plus difficile, n’ayant aucune référence historique. Décision est prise de revenir sous le vent de la Cordillère qui, au Nord de San Martin, est une chaîne continue sans les surprises du Sud. Il est 13h, nous venons de passer Piedra Del Aguila et de parcourir 500 km en 2h20 pratiquement sans arrêt depuis notre point bas de José San Martin. Barre à gauche 45° et retour à l’onde de ressaut classique sur 7/8 de nuages, mon menu préféré. Tout marche parfaitement même si la lecture du ciel n’est pas des plus simples, tant les nuages sont tordus et sur la frontière chilienne par le travers de Las Ovejas (ville et aéroport identifiés), rien ne va plus.
Accrochage au volcan Domuy
Vario = 15 m/s
L’altimètre tombe à 4.700m, le vent à 70 km/h et pour ne pas perdre de temps, il nous faut repartir en vol de pente sur la Cordillera del Viento, dont le majestueux Volcan Domuy (4.700m) nous invite à goûter son ressaut et nous voilà varios bloqués en négatif sous le vent vers rotor et lenticulaire. Extraordinaire: 14,5 m/s à l’accrochage, 8 m/s moyen jusqu’à 7.900m que nous laissons volontairement car c’est le niveau maximum autorisé en planeur
(NOTAM permanent pendant la saison d’onde, c’est pas beau çà?). Six minutes d’arrêt après 800 km de croisière ininterrompue en 4h20…. Voilà qui nous encourage à continuer. Il est 15h40, il reste 6h de lumière, toujours cap au Nord!
La situation apparaît maintenant beaucoup plus simple. La masse d’air est plus sèche et nous voguons tranquillement sur 1 à 2/8 de cumulus rotors avec un vent du 250° pour 80 km/h, par rapport à une ligne de crête totalement visible et sans aucune surprise. La sympathique contrôleuse de Malargue nous accorde tout niveau demandé mais s’inquiète d’une éventuelle pénétration dans la TMA de Mendoza (voie aérienne stratégique conduisant à Santiago du Chili), et nous la rassurons car nous avons bien l’intention de dormir dans notre lit ce soir. Lorsque enfin apparaissent le volcan Maipu (5.323m) et la Laguna Diamante, tout change. Les sommets sont dans la crasse, la route est coupée. Continuer signifie se décaler de 50 km sur la plaine, certes faisable, les lenticulaires nous attendent, mais le retour au bercail de jour serait sérieusement hypothéqué. Et puis les réunions avec mes intestins se font de plus en plus fréquentes et violentes et une arrivée de nuit dans ces conditions ne me paraît pas saine. Un petit calcul me dit que battre le record du monde semble impossible, inutile donc de risquer. Nous ferons demi tour quand nous serons à environ 800 km de chez nous avec 4h30 de lumière restante, cela nous laissera une demi heure de sécurité de jour plus une autre demi-heure de nuit, l’aéroport international balisé fermant à 22h, en supposant de tenir les 180 km/h de moyenne de l’aller. Avec un aéroport tous les 100km, aucun problème pour interrompre l’arrivée en cas de problème (je pense surtout à mes viscères…).
Un petit coup d’œil sur la côte du Pacifique et Santiago du Chili que nous devinons à 100 km devant nous. Demi tour donc devant la Laguna à 17h et 780 km , le pari sera tenu avec une demi heure d’avance et exactement 180 km/h de moyenne avec deux arrêts de 4 et 5 minutes.
Nous basculons à gauche sur le « piémont » andin décalé de 36 km vers l’Est, qui nous semble mieux organisé et nous permet ainsi de reprendre le contact avec la Pampa, jusqu’au fameux ressaut du volcan Domuy où le 8 m/s toujours présent nous remonte à 7.200m sans nécessité de nous arrêter. Mais plus question de faire du tourisme, il faut « rester sur le trait » et rentrer plein pot. Avec 500 km, 60 km/h de composante de vent de face et 3h30 de lumière, c’est bien parti.
Sur cette branche, nous retrouverons la forte nébulosité de l’aller, en augmentation, et la navigation n’est pas simple, la lumière faiblissant compliquant l’appréciation du bon côté des bons nuages. L’aéroport de Chapelco est invisible, inutilisable pour détournement (pas question de faire une percée IMC avec les ailes à -30°C!), heureusement, ceux de la plaine sont dégagés. Arrivés à Bariloche avec 30 minutes d’avance et 3.000m, nous consommons notre altitude en ajoutant 45 km, 3 points oblige…
Virage devant la Laguna Diamante
et le volcan Maipu
Atterrissage 6 minutes avant le coucher du soleil aéronautique, 15h42 de vol, 2.430 km sur 3 points, 2.200 km sur deux points (équivalent à l’aller et retour). La page statistique de SeeYou relative au 2.430 km est jointe, très similaire à celle du vol précédent: finesse moyenne 1.410, au total 9 arrêts (y compris ceux inférieurs à 45 secondes) pour 22 minutes, soit 2,5% du temps de l’épreuve. C’est le record du monde en vigueur, mais vu qu’une distance de plus de 2.600 km est en cours d’homologation, nous n’avions aucune chance de faire mieux. Donc pas de regret. Notre plus grande satisfaction est d’avoir viré le point le plus au Nord jamais tourné (du moins selon la documentation disponible sur Internet), point historique par excellence puisque c’est là qu’Henri Guillaumet écrivit, le vendredi 13 juin 1930, une page héroïque de l’histoire de l’aéronautique en général et en particulier de l’Aéropostale de Daurat, Saint Exupery et ses compagnons.
Puisqu’il nous faut revenir sur terre, après avoir remis en ordre le brave MM et mes intestins, il est 23h passées lorsque nous réalisons que c’est Noël, et c’est la brasserie El Viejo Munich qui nous accueillera pour y goûter leur spécialité: la chukrut!