Si nous devions caractériser le printemps austral de 2009, une seule phrase me vient à l’esprit : le retour aux fondamentaux. C’est-à-dire vent, froideur et pluie, et l’expression de Jean Raspail « la Patagonie a un roi : le vent » n’a jamais été aussi vraie. Avec en plus un bel éclat de rire quand on nous parle de réchauffement global, alors que l’an passé nous étions tous très inquiets. Justement, sur la base de cette inquiétude j’avais pris la décision d’anticiper l’expédition d’un mois, qui en fait s’est révélé totalement inutile.
D’abord parce le bateau transportant notre conteneur ayant pris une semaine de retard, nous en avons profité pour aller visiter les provinces du nord-ouest à la frontière bolivienne, découvrant non seulement des paysages extraordinaires, inimaginables, mais surtout une civilisation et une culture tellement différente des nôtres qu’il vous en vient des insomnies et des doutes atroces sur la supériorité de notre rationalisme cartésien judéo-chrétien. Ces populations vivent à des altitudes entre 3.000 et 4.000 m selon des coutumes pré-colombiennes, traditionnellement incas, où le stress semble appartenir à une autre planète, et l’absence de médecins traditionnels ne les empêche pas de devenir des centenaires heureux.
Le fait que la feuille de coca soit en vente libre peut nous sembler une aberration mais c’est une réalité indissociable de l’environnement naturel. Dans tous les contacts avec les indigènes, il n’a pas été une seule occasion où l’on ne nous a fait peser les massacres sanglants et les destructions causées par les envahisseurs espagnols pour, en fin du compte, pourrir la vie des milliers d’habitants locaux pour satisfaire le bien-être de quelques privilégiés venant d’un continent inconnu. Les ruines ante incas de Quilmes en sont le plus bel exemple, puisque la totalité de la population a été exterminée ou expulsée par les Espagnols de l’autre côté de l’Argentine. Si vous passez un jour en Argentine avant la mi novembre, ne manquez pas de passer quelques jours dans les vallées (Quebradas) de Humahuaca, Purmarmarca, la grande saline de San Antonio de Los Cobres, le train des nuages (qui monte à 4.000m), Cachi, Molinos et bien évidemment Salta et les momies du MAM.
Attention il s’agit de tourisme quelque peu aventurier, mais encore acceptable. Bien que les pistes soient apparemment plus fréquentées par les vigognes et les lamas que par les voitures, il arrive quand même de croiser quelques rares êtres humains pendant le voyage! En cas de vache, tout est crashable, mais le futur fera l’affaire des condors!
Ensuite parce que les deux premières semaines qui ont suivi l’arrivée du conteneur à Bariloche le 24 octobre (équivalent à notre 24 avril) ont été caractérisées par un déluge de neige et de pluie, un point tel que la chute de neige du 24 octobre a été la plus importante de toute la saison d’hiver, bien que l’hiver ait théoriquement pris fin depuis plus d’un mois ! Et pour John Williams, il lui a fallu sortir la pelle à neige pour quitter sa villa!
En fait nous n’avons pu effectuer le premier vol qu’une semaine plus tard. Les températures en altitude étaient si basses (-30 à -35°C à 6.000 m) et avec une telle humidité que l’obligation de voler avec l’aération totalement ouverte m’a déclenché une aiguë qui me clouera au sol pour le reste du mois de novembre, me faisant ainsi perdre la magnifique journée du 30 novembre, où trois records du monde ont été battus (voir liste séparée).
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, mon partenaire d’expédition Bruce Cooper en a bien profité !
Une météo excellente, avec de longs cycles de vent et de calme.
Depuis la fin de novembre jusqu’à la mi-janvier, le temps a été caractérisé par des cycles de trois à cinq jours de vent suivis de quelques jours de calme plat. A 41° de latitude, soit l’équivalent de Naples entre mai et juin, il suffit d’un bon coup de soleil sans vent pour avoir l’impression de griller, et de fait les deux plages du lac Nahuel Huapi étaient prises d’assaut par centaines, mais les baigneurs se comptaient sur les doigts d’une seule main, la température de l’eau n’excédant guère les 12°C !
La situation météorologique a été caractérisée par la présence continue d’un puissant anticyclone centré 1.000 km au nord de Bariloche et d’une circulation tournante (en réalité c’est la terre qui tourne!) ininterrompue de vortex polaires formant des centres de basse pression fortement cycloniques générant des fronts froids circulant en permanence à notre latitude plus ou moins quelques degrés (1° = 110 km). Le tout bien en phase avec des jets streams ondulant au sud de notre position. La conséquence étant que très souvent le vent était fort au sud de Bariloche (entre 100 et 150 km/h) avec une très forte humidité alors que le nord était tout bleu avec des vents mourants à basse altitude (100 à 10 km/h entre 4.000 m et le sol) mais restant soutenus dans l’espace supérieur. Il fallait donc bien faire attention à ne pas descendre. Nous avons vécu les plus belles convergences et sauts hydrauliques en cinquante et un ans de vol à voile. Toutefois le passage permanent de fronts froids pendant les cycles de vent nous a compliqué la tâche car nous n’avons pratiquement jamais pu soit décoller à l’aube soit nous poser à la nuit et donc profiter de plus de 16 heures de lumière pour accumuler les kilomètres. D’autres ont préféré engager le risque vital en décollant sous la pluie ou en partant vent arrière au moteur jusqu’au trou de foehn, aucun pilote de mon équipe n’a jugé que aucun morceau de papier ne valait la peine de prendre le moindre risque.
En quelques images, commençant par le 1er big day, le 30 novembre,
montre la position du jet stream en plein sur la route prévue, et le front froid qui vient juste de passer. Le vent d’ouest 30-40 kt à 1.000m est excellent au sud, il s’arrête net à 100 km au nord
alors qu’à 7.000m
il est super (50 à 70 kt) depuis le détroit de Magellan jusqu’au Pérou! L’analyse à 17h
met bien en évidence un système ondulatoire faisant plus de 2.500 km de longueur.
Le 28 décembre, le vol de Klaus Ohlmann de El Calafate à San Juan s’est déroulé le long d’un système encore mieux marqué
avec toutefois une forte nébulosité dans les premiers 500 km, les vents à 5.000 m étant toujours excellents, en moyenne 40 kt
depuis Ushuaia jusqu’au Pérou.
Il n’a donc jamais été possible d’aller très loin au nord, sauf à ne pas avoir l’intention de revenir. Notre aller et retour de 1.500 km vers le nord à la Laguna del Diamante avec Bruce Cooper (site de l’exploit héroïque de Guillaumet en 1930) et celui de 1.500 km vers le sud de John Williams en Antarès 20E (record du monde pour son deuxième vol et pas moins de 10 records britanniques, félicitations !) ont défini les limites de l’épure de cette saison pour les circuits fermés.
Le vol sur triangle de 1.501 km jusqu’à Malargüe avec Jean-Baptiste Claudin étant le nouveau record de France sur 3 points comme prévu (1.544 km), occasion de flirter avec un monstrueux saut hydraulique autour de 7.000 m dans un délire du badin et du vario
et le fameux ressaut d’Esquel, en passant par le surf sur les ondines. Et quelle joie en découvrant la statistique de ce vol: 2.340 km avec seulement 1.400m de gain d’altitude.
En prenant la décision de ne pas revenir, Klaus Ohlmann est descendu à El Calafate (1.000 km plein sud), puis remonté le surlendemain à San Juan (2.256 km plein nord), tous deux en « aller simple », l’objectif étant le nouveau trophée Kuttner de 2.500 km, qui reste donc ouvert pour les prochaines saisons. Ne dramatisons pas, cela correspond tout de même à un terrain de jeu équivalent à Vinon-Lille pour les allers et retours et Vinon-Hambourg pour les allers simples. Pas de quoi se plaindre!