À toute chose malheur est bon, dit-on. Si les cendres sont effectivement un poison pour les moteurs et interdisent tout décollage, la situation change lorsque le moteur est rentré. Une fois en vol, on découvre deux types de cendres volcaniques : celles primaires, qui ne sont autres que les cendres fraîches sortant du cratère et matérialisées par le panache, isolé et bien visible en ciel clair (photos 6 de janvier 2012) mais plus difficilement identifiables lorsque noyées dans la couche.
Cendres primaires noyées dans la couche, novembreCendres primaires noyées dans la couche, novembre
En vol a 4.500m sur bouche éruptive
Leur extension en travers du panache est faible, une dizaine de kilomètres à 100 km du volcan, mais leurs densité et toxicité sont très élevées, il convient de rester chez soi et si vraiment il faut sortir le port du masque est obligatoire. Lorsque le vent tourne rapidement, le front de cendres pénètre dans la masse d’air exactement comme un front froid si l’air ambiant est plus chaud.
La photo montre la position du panache de cendres primaires le 29 janvier 2012.Par chance nous n’avons jamais été contraints de voler dans ces conditions où la visibilité n’est que de quelques dizaines de mètres.
celles secondaires, qui sont la conséquence de l’érosion éolienne qui transporte vers l’Est jour après jour les cendres déposées au sol par le panache.
celles secondaires, qui sont la conséquence de l’érosion éolienne qui transporte vers l’Est jour après jour les cendres déposées au sol par le panache.
La photo montre l’extension de la zone sinistrée, un triangle rectangle dont la base est longue de plus de 600 km.
Panache et zone sinistrée, le 29.1.2012
La photo montre d’une part la désertification totale du territoire (nous sommes à la verticale de Caleufu, l’aile indique la direction de l’Est, le territoire visible sur la photo est d’environ 80 x 80 km), et d’autre part l’intensification de la densité de cendres en suspension en allant vers l’est.
Le Rio Caleufu recouvert de cendres
La photo prise à 50 km au nord de Bariloche à 6.700 m d’altitude en regardant vers le sud et donc vers le lac et la ville, montre bien la position du front de l’érosion éolienne, les montagnes situées à l’ouest apparaissant propres alors que tout ce qui est sous le vent du front est totalement involable, tout du moins avec un moteur. Par deux fois nous avons été contraints de nous poser en traversant le nuage de cendres éoliennes. Le sommet de ce nuage ne dépasse pas 3.000 m et la visibilité est de l’ordre de quelques centaines de mètres, dans toutes les directions. Compte tenu de l’absence du risque de givrage, de la présence de trois systèmes de navigation GPS totalement redondants et de la présence de deux gyroscopes, le tout alimenté par trois circuits électriques indépendants, les percées n’ont posé aucun problème si ce n’est que le temps passé à descendre de 3.000 m dans cette purée m’a semblé une éternité qui n’est pas prête de s’effacer de ma mémoire.
Cendres éoliennes en mouvement
Mais tout n’est pas à jeter : les cendres éoliennes sont si légères qu’elles matérialisaient magnifiquement les sauts hydrauliques et les ressauts classiques. Très utile lors du départ car permettait de localiser rapidement le cœur de l’ascendance, trop facile! La photo, prise à 3.000 m et 10 km au nord du terrain en regardant vers le nord, montre la matérialisation parfaite d’un petit saut hydraulique, avec présence des rouleaux de Kelvin Helmholtz lors de la descente des particules d’air et de cendres à une vitesse super critique, c’est-à-dire plus élevée que la vitesse moyenne de la masse d’air environnante, suivie d’une montée pratiquement verticale des particules se trouvant au sol, et cela jusqu’à l’altitude à laquelle la vitesse redevient égale à celle de la masse d’air environnante, dans le cas présent vers 3.500 m. On notera qu’à une cinquantaine de kilomètres plus au nord, ce système a laissé la place à un système ondulatoire sinusoïdal classique sans rouleaux de Kelvin Helmholtz.
Saut hydraulique matérialisé par les cendres
La photo prise en regardant vers l’est, montre une matérialisation par le soulèvement des cendres d’un magnifique saut hydraulique situé au beau milieu de la pampa à une cinquantaine de kilomètres sous le vent de la chaîne. Cette photo montre trois éléments importants caractéristiques du saut hydraulique : 1) la présence de rouleaux alignés dans l’axe du vent se terminant exactement sur le front, 2) un front unique, pratiquement vertical, dans lequel les particules d’air et de cendres remontent jusqu’à l’altitude de la couche laminaire et 3) un nuage de condensation à haute altitude dont le bord d’attaque est situé au vent de la trace du front au sol (on voit son ombre). Dans ce cas également, on observe que les cendres ne passent pas dans la couche laminaire et restent confinées entre le sol et environ 3.000 m (une catastrophe pour l’aviation à moteur, légère ou commerciale).
La photo, prise vers 5.000 m à 50 km au Nord du terrain, regardant vers le quadrant Nord-Est, montre bien d’une part l’absence totale d’échange entre les deux masses d’air et d’autre part l’amplitude verticale du déplacement sinusoïdal d’une particule élémentaire, qui est de l’ordre de seulement 200 à 300 m. Cette caractéristique représente la différence fondamentale entre l’ascendance thermique et l’ascendance ondulatoire de ressaut. Dans le premier cas la particule élémentaire parcourt tout le trajet du sol jusqu’au nuage, dans le second cas elle ne parcourt verticalement que quelques centaines de mètres et le mouvement se transmet de particule en particule, un peu comme le jeu des pendules s’entrechoquant. Il faut donc oublier le schéma classique que l’on trouve dans les meilleurs bouquins, dans lequel on voit un mouvement sinusoïdal des filets d’air d’une amplitude du même ordre de grandeur que l’altitude de la montagne, alors qu’en réalité l’inclinaison des filets d’air ascendants et descendants n’est que de quelques degrés, à peine visible sur un dessin à l’échelle.
Matérialisation des ressauts par les cendres
En conclusion, quelle que soit la modalité ondulatoire, aucune particule d’air n’est transférée de la couche turbulente à la couche laminaire, laquelle a toujours été totalement vierge de la moindre poussière.