Jamais le mot « réchauffement global » n’a pris autant son sens. Dès l’arrivée, le déchargement du conteneur et le montage des machines s’est fait sous un cagnard digne des Alpes du sud, du moins dans la journée, quand le soleil chauffait. Par contre, la température s’écroulant dès que l’ombre reprend ses droits, il fallait très vite troquer son T-shirt contre une laine polaire, sinon c’est la crève garantie. Et personne n’y échappe !
Donc, du premier au dernier jour, de novembre à janvier, la lettre H écrite à gauche et à droite de la Patagonie, voire même parfois au centre, aura gouverné tous les vols de toutes les équipes. La fig. montre une situation typique un jour de record. Où il fallait se faufiler entre deux fronts dans un flux fortement catabatique (rotors « roule-boule » comme disait Klaus) avec un vent de 80 kt au FL240 (7.300m).
Nous n’avons jamais eu froid, au contraire. A mi décembre, la température à 7.000m avoisinait -10°C et il fallait passer au-dessus de 8.500m pour voir le thermomètre passer sous les -20°C, valeur habituelle vers 5.000-6.000m les années précédentes où nous flirtions avec les -35°C à 8.000m. Par chance j’avais laissé dans les pochettes les tubes de crème solaire de l’été européen !
Les experts météo qui en juillet nous promettaient une année « normale », ont vite fait marche arrière et après avoir invoqué le puissant niño pour justifier l’énorme H anticyclone placé très au sud du Pacifique, et n’ont trouvé aucune explication à la présence anormalement basse et constante de l’anticyclone atlantique.
Cette ligne de blocage permanente a donc obligé les fronts froids circulant à intervalles réguliers dans le système des vortex polaires (qui lui a régulièrement fonctionné), à circuler beaucoup plus au sud avec pour conséquences :
- Au nord du 42ème parallèle (soit 200 km au sud de Bariloche), des vents parfois très forts (observé plusieurs fois 160 km/h à 6.000m) et orientés très nord (donc chauds et catabatiques), couramment 300-320°, très peu compatibles avec les orientations des crêtes, pour lesquelles l’idéal se situe dans le secteur 250-270°.
- Lors des poussées anticycloniques, des cycles sans vent de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, et de très mauvais thermiques purs ou plafond bas, ne permettant pas de s’éloigner en sécurité. De plus les brises sont inversées par rapport à nous : ce sont les versants nord qui chauffent et l’après midi la pampa chauffe plus que la montagne ce qui provoque une brise d’ouest globalement descendante, soufflant vers la plaine. Cette anomalie a contribué à l’accident qui a coûté la vie à deux pilotes Autrichiens partis de Zapala.
- Lors des poussées cycloniques, des phénomènes très intenses mais limités en temps et en étendue. Nous n’avons jamais eu deux journées successives exploitables au départ du même aéroport, ni n’avons jamais pu nous éloigner de plus de 500km du point de départ, et cela pour les quatre expéditions qui s’étalaient sur 400km à environ 100-150km l’une de l’autre. Lors de ces passages de front, de nombreux sauts de Bidone se sont formés, dont un a permis à Klaus de tourner 500km à 306 km/h, pendant que les autres équipes jouaient aux cartes sous le déluge.
- Au sud du 42ème parallèle, des précipitations et nébulosités très fortes limitaient la zone exploitable à env. 400 km au sud de Bariloche. Personne n’a réussi l’aller et retour « mythique » de 1.000km vers le sud, qui nous emmène au splendide lac Buenos Aires.
- Pour l’équipe de Steve Fossett, une catastrophe économique et sportive, car au départ il avait placé ses deux ASH25 à Chos Mallal, l’aéroport le plus au nord et malheureusement le plus proche des deux anticyclones, puis il a tenté d’en déplacer un 500km plus au sud à Esquel, en partie par la route tant la situation « thermique » était pauvre, à un moment où la haute pression a envahi aussi le sud. Résultat : aucun vol en un mois. Il ne repartira cependant pas les mains vides, puisqu’il aura amélioré, avec Einar Enevoldson et un troisième planeur, le record du monde d’altitude en le portant à 15.447m , le précédent appartenant à Robert Harris en 1986 sur Astir Club (14 938 m). Le site Internet de Saint Florentin s’est permis d’ajouter le commentaire suivant : « 40 ans, quelques millions de dollars, des équipements d’astronautes, un DG505 pressurisé spécialement conçu pour l’occasion … et seulement 509 mètres séparent ces deux records. Cela donne une idée de la performance de R. Harris avec son Astir! » [erreur : le DG505 n’était pas pressurisé ]. No comment, sauf que Steve a décidé de faire don de ce planeur au musée de l’air US. Bravo. Il conviendrait peut-être d’en finir avec ce type de record qui ne représente plus rien sauf le compte bancaire du pilote.