J’avais cette année la chance d’avoir à disposition un Ventus 2C en 15 mètres, que nous avions ballasté au glycol à 48 kg/m2, exactement comme le Nimbus biplace. Ce qui m’a permis de vérifier une hypothèse dont je me doutais depuis fort longtemps, cette fois démontrée devant témoins (et pas des moindres puisque Michel Fache possède lui aussi un Ventus CT): dans les conditions de tentatives de record, les deux machines ont des performances équivalentes. Corollaire: la classe 15m pour les records est injustifiée.

Avant de crier au scandale, s’il vous plait, suivez mon raisonnement jusqu’au bout

Du point de vue théorique, ce résultat saute aux yeux en comparant les courbes des finesses à charge alaire équivalente. Sur la fig. R, nous avons superposé les finesses de planeurs de 15m courants de plus de 10 ans, à la même charge alaire. Notez que les monoplaces peuvent être chargés jusqu’à 53 kg/m2 alors que les biplaces plafonnent entre 45 et 47 kg/m2, soit un avantage de 6% sur la vitesse et 2 points de finesse à 170 km/h. Notez encore que ces courbes ont été tracées sur la base des données du manuel de vol pour tous sauf le Ventus (donc habituellement surestimées), alors que celle du Ventus provient d’essais en vol réalisés par l’Idaflieg, donc représentatifs de la réalité.

Qu’y voit-on? A partir de environ 170 km/h, l’avantage des grandes plumes serait de l’ordre de 5 points de finesse. Résultat qu’il convient de réduire pour tenir compte de ce qui précède. Que reste-t-il? ZERO! Nous l’avons vérifié au cours de deux grands vols, dont un sur l’aller et retour de 1.000 km de mon record du monde de l’an passé, en quasi patrouille avec le Nimbus et le Stemme. Il a été absolument impossible de relever un avantage aux grandes plumes. Seules les décisions font la différence.

Et en montée, me direz-vous? Oui, il existe bien entendu une petite différence, bien qu’en conditions de record, le temps passé « arrêté pour monter » est très faible. Afin de chiffrer ce « handicap », nous avons volontairement effectué une montée en patrouille dans le ressaut sous le vent du Lanin (fig. S), entre 4.000 et 7.000 m., tous paramètres identiques. Fichiers IGC ici. Résultat:

Ce qui signifie que pour réaliser le même gain d’altitude de 2.869m que le Nimbus, le Ventus aurait mis 2 min 15s de plus, sur un total de 38 min. C’est vraiment très peu

Qu’est ce que cela signifie lors d’un record du monde de 15 heures, comme par exemple celui du triangle de 1.500 km au cours duquel le Nimbus a volé pendant 15 heures, et s’est arrêté au total 78 minutes pour un gain d’altitude de 10.431m, soit une Vz moyenne de 2,152 m/s. Le Ventus aurait eu une Vz inférieure de 0,077 m/s, se traduisant par une augmentation du temps de montée de seulement 3 minutes pour le même gain d’altitude! Comme la performance en ligne droite aux vitesses de ce type de vol ne sont pas significativement différentes, il me semble que ce ne sont pas 3 minutes de vol supplémentaires qui peuvent justifier une classe de record séparée.

Je ne veux pas dire par là que la classe 15m n’a pas de raison d’être, elle est tout à fait justifiée en concours, où l’on peut être contraint de voler même sous la pluie ou de rester en vol dans des 0,1 m/s en attendant mieux. Je l’ai vécu et je l’admets bien volontiers. Et quand il n’y a plus d’ascendances et que l’on utilise la partie gauche de la courbe de la fig. R, alors oui, la différence est abyssale. Mais lors d’un record, surtout de vitesse, il n’en est rien et point n’est besoin de tracer les courbes de finesse à la Vne pour s’en rendre compte! Et encore, les planeurs 15m que j’ai cité sont « vieux ». Aucun doute que si l’on utilisait les données du Ventus 2Cxa ou du Diana2 à 55 kg/m2, les grandes plumes montreraient des performances inférieures à ces nouveaux 15m.

Puis-je espérer que notre délégué IGC réfléchisse à cette question et fasse une proposition en ce sens à la FAI? La réduction du nombre de records était à l’ordre du jour cette année, voilà une bonne occasion de l’appliquer sur une base rationnelle!

P.S. que reste-t-il des capacités psycho-physiques d’un pilote ayant passé 15 heures dans l’habitacle exigu d’un Ventus-A ou d’un Diana-2 à -20°C, à négocier en continu des clearances avec les contrôleurs, calculer des estimées, élaborer des stratégies, se soulager la vessie, boire, se nourrir et accessoirement piloter,? Je ne sais même pas si c’est faisable. That is the question! Qu’est ce qu’on est bien en place arrière du Nimbus!