La retombée scientifique la plus intéressante de cette expédition concerne la façon de respirer en altitude et en conséquence le dosage utile de l’oxygène par l’EDS-D1. Le Dr Heini Schaffner nous a contraint de porter des pulsoxymètres enregistreurs chinois Contec CMS-50F

et de noter sur la tablette chaque événement ou changement dans le comportement des pilotes comme par exemple uriner, boire, manger, discuter longuement avec un contrôleur, changer de réglage de l’EDS, apparition de maux de tête, etc. Après le vol les enregistrements continus de la fréquence cardiaque et du taux de saturation en oxygène ont été soigneusement analysés sur ordinateur en parallèle avec les fichiers IGC, permettant ainsi de corréler les variations cardiaques et pulmonaires avec l’altitude d’une part et les événements aéronautiques et physiologiques notés d’autre part. Cette étude a fait l’objet d’une présentation au congrès médical vélivole de l’APSV à Saint Auban début juin 2010. Elle est disponible en ligne en format PDF dans la rubrique « Documents » du site TopFly. Ce modèle de pulsoxymètre est inutilisable en vol à d’autre fin que la recherche scientifique, car il est totalement illisible à la lumière du jour. Pour la prochaine expédition, nous espérons disposer d’un modèle non réflectif où les alarmes sont commandées par des boutons externes.

Pour ne citer que quelques exemples, la fig. montre le résultat d’une manoeuvre de Valsalva, ce qui, en pratique courante, signifierait se moucher c’est-à-dire augmenter volontairement la pression dans la cage thoracique, bloquant ainsi la circulation sanguine.

Bien que cette expérience ait eu lieu à basse altitude (4.600 m) et bien que le cobaye avait pris la précaution d’augmenter volontairement le débit d’oxygène en passant sur la position F5, son taux de saturation s’est écroulé de 97 % à 89 % et le rythme cardiaque est passé de 60 à 120 bpm. En d’autres termes, répéter la même opération à 8.000 m dans les mêmes conditions pourrait signifier une perte de connaissance.

Un résultat tout aussi équivalent est obtenu en faisant pipi lorsque l’on doit faire un effort, soit pour cause d’une position trop assise soit pour des problèmes prostatiques. J’ai vécu l’expérience d’un pilote en place arrière qui, bien qu’ayant conservé les yeux ouverts et une certaine mobilité de la tête (avoir toujours un miroir avec soi!), s’est trouvé totalement incapable de prononcer le moindre mot pendant plus d’une demi-heure, m’obligeant à me dérouter vers un aéroport alternatif. Après avoir réussi à lui faire passer l’EDS sur R/M et être redescendu à 6.000 m, il a pu reprendre ses sens et nous sommes rentrés tranquillement à la maison. En monoplace, il aurait risqué sa vie.

La fig. montre un bel exemple de respiration périodique du type Cheynes-Stokes,  consistant en un épisode d’hyperventilation du type crescendo-decrescendo (améliorant la saturation en O2) suivie d’un oubli/pause respiratoire total parfois de quelques dizaines de secondes (avec dégringolade consécutive de la saturation en O2).

Ce phénomène, bien connu des alpinistes dormant en refuge, a été identifié et décrit auparavant par le pilote américain Mike Bush (et al), mais a échappé à d’autres qui n’ont observé que périodiquement leur pulsoxymètres primitifs. La respiration périodique ne saura nous rassurer, car elle ne se trouve ailleurs que lors d’insuffisance cardiaque, lors de tumeurs, traumatismes et accidents vasculaires cérébraux ou lors d’intoxications par sédatifs et somnifères.

Suite aux épisodes hypoxiques impressionnants rencontrés, et pas toujours la conséquence d’une  « expérience », avons déjà appliqué certaines règles qui deviennent pour moi des intangibles:

  • une minute avant toute activité autre que le pilotage simple : uriner, boire, manger, effectuer une mesure sur la carte, faire un calcul d’estimée, entreprendre une discussion avec un contrôleur, etc., il faut catégoriquement augmenter le débit d’oxygène d’au moins un cran sur l’EDS.
  • Au-dessus de 6.000 m, il faut nécessairement passer sur F10 ou même F15 et vérifier l’effet désiré de son choix à l’aide du pulsoxymètre. Contrairement aux déclarations initiales de Mountain High, l’EDS-D1 ne dispense pas suffisamment d’oxygène quelle que soit l’altitude ou son réglage. Ce n’est pas vraiment un problème en Europe, car l’écart entre besoins (en respectant la limite neurologique de 90 % de saturation en O2) et approvisionnement réel en oxygène ne se manifeste qu’à partir du niveau de vol 195.
  • Par expérience, aujourd’hui confirmée par les enregistrements pulsoxygraphiques, au-dessus de 7.000 m, il faut nécessairement passer sur F15 ou F20 ainsi qu’au moindre doute sur F25 ou R/M à n’importe quelle autre altitude et ce jusqu’à la fin de l’alerte pulsoxymétrique.
  • Au-dessus de 8.000 m, il faut impérativement passer sur F20 ou F25 et se contrôler rigoureusement et mutuellement, ne faire aucun effort inutile, observer une respiration volontairement approfondie.
    À ces altitudes, toute hypoxie accidentelle peut rapidement entraîner une situation extrêmement hasardeuse, soit par l’inertie voire l’inaction stuporeuse et comateuse du pilote, soit-il par la perte subite de son tonus musculaire au manche, qui accompagne l’évanouissement (particulièrement en volant proche de la Vne). Nous avons vécu deux épisodes, heureusement transitoires, d’incapacité soudaine de vol de l’un des membres d’équipage, l’une attribuable à la stupeur hypoxique (inaction périlleuse aux yeux ouverts) et l’autre à l’endormissement multifactoriel du pilote; en monoplace il y aurait eu accident grave.
  • Le plus souvent possible et à toute altitude, pratiquer la respiration consciente ou volontaire, consistant en des aspirations profondes à un rythme plus lent que celui de la respiration autonome; ceci permettra mieux d’attribuer l’oxygène délivré à la première portion d’air inhalé (dite air alvéolaire), seule capable de modifier l’air résiduel du poumon où a lieu l’échange gazeux avec le sang pulmonaire.
    À réglage constant de l’EDS-D1, on gagne ainsi rapidement de 3 à 4 % de saturation en O2, correspondant à 10 – 15 % d’économie en oxygène, soit un cran. Évidemment, dans un planeur biplace, cette pratique limite considérablement la discussion entre les pilotes puisqu’il n’est plus possible de pratiquer la respiration contrôlée lorsque l’on parle. Bavarder ou manger contre s’asphyxier, il faut choisir!
    En respiration autonome, une fréquence accrue compense les excursions respiratoires restreintes en profondeur dues à l’expansion en altitude des gaz intestinaux ainsi qu’aux ceintures de sécurité correctement serrées. Bien que ce mécanisme ait ses limites, il explique insuffisamment les épisodes d’hypoxie rencontrées.
  • Dans les planeurs biplaces, le débit donné par l’EDS-D1 en place avant pourrait être inférieur à celui de la place arrière par suite à la fois des pertes de charge dans la tuyauterie (plus longue) et parce qu’un seul détendeur primaire du type XCR pourrait ne pas avoir la capacité pour alimenter suffisamment les deux EDS lors d’inspirations simultanées à pulse rallongé. Ce doute profond a été levé en montant un détendeur primaire sur la bouteille arrière, donnant une pression de 4,5 bars et un régulateur/stabilisateur (« in line reducing stabilizer » de Mountain High) secondaire positionné entre les deux pilotes abaissant ultérieurement cette pression à 1,4 bar statique, respectivement 1,0 bar lors d’inspirations simultanées; les tuyauteries de diamètre intérieur 2,5 mm allant aux EDS ne mesurant plus que quelques dizaines de centimètres de longueur contre plusieurs mètres auparavant, et étant d’égale longueur pour les deux places.
  • En partant pour un grand vol programmé pour se dérouler exclusivement en altitude, l’EDS-D1 doit être mis en marche déjà au sol en position N ou D5 et ce jusqu’à après l’atterrissage. L’oxygène ne coûte presque rien, la vie n’a pas de prix.
  • Il n’y a pas d’altitude minimum ou de zone d’altitude exempte d’hypoxie avant l’utilisation d’oxygène supplémentaire, déjà l’hypoxie légère pourrait se traduire en décisions tardives ou erronées. Quand on vole en montagne, même en thermique, la canule doit déjà être mise en place et vérifiée avec l’oxygène ouvert avant le décollage.

Bref, lors de mes futurs vols dans les Alpes, je décollerai toujours avec l’oxygène en service, le pulsoxymètre vérifié et dans la pochette et le passager briefé sur son utilisation. Et quand je pense à ceux qui tentent des records d’altitude en Patagonie en montant à 10.000 et même 11.000 m en monoplace avec une simple canule dans le nez, ils ont eu vraiment beaucoup de chance. Recommencer aujourd’hui serait une faute grave.