Faire un débriefing psychologique prendrait toutes les pages de la revue et n’intéresserait personne, sauf peut-être les médecins vélivoles de l’APSV. Il y a tout de même un certain nombre de points qui sont susceptibles de retombées dans l’intérêt général.

  • Trois levers à 3h30 du matin en cinq jours dont un la veille avec 8h de vol difficiles en solo sont un handicap que l’on paye avec les intérêts au bout de 15 heures de vol, surtout à 66 ans. J’aurais dû passer plus de temps à relaxer, mais les malaises hypoxiques de Bruce ne me l’ont pas permis. Aurais-je du renoncer? Jamais, compte tenu du contexte! Oui sans aucun doute dans un contexte normal, plus tranquille.
  • Est-il judicieux de modifier un circuit à 4h du matin sur la base d’informations météo qui ne sont que des prévisions et non des certitudes? La réponse devrait être non, pour preuve que si j’avais tenté de tourner le circuit modifié, nous aurions probablement échoué. Cet avis doit toutefois être mitigé puisque Klaus Ohlmann prétend lui aussi avoir modifié son circuit le soir précédent son triangle de 1.600km du 8 décembre.
  • La crise hypoxique de Bruce Cooper n’était pas non plus totalement imprévisible. Depuis plusieurs semaines, il se plaignait d’alarmes soi-disant injustifiées, j’avais remplacé le régulateur électronique par celui de secours absolument neuf et pourtant le problème persistait, et seulement avec lui. Nous avons donc tous les deux fait de grosses erreurs, lui en accusant systématiquement mon matériel et moi en l’accusant de ne pas contrôler sa respiration. Personne n’a imaginé que sa canule personnelle pouvait être partiellement bouchée.
  • Jamais je n’aurais dû partir aussi bas (5.500 m) au kilomètre 200 alors que j’avais un netto d’environ 2 m/s, simplement parce que il n’aurait resté que dix minutes de marge avant la nuit à la moyenne de 150 km/h, que j’estimais (à juste titre) pouvoir tenir. Un arrêt de trois minutes pour monter m’aurait assuré le passage de la ligne dans les 1.000m requis (et un record du monde supplémentaire), j’aurais volé un peu plus vite et je me serais quand même posé avant la nuit.
  • Lors du passage de la ligne d’arrivée, je n’ai réalisé que trop tard ce que Bruce voulait me faire faire, c’est-à-dire monter à la verticale jusqu’au décrochage au moment du passage de la ligne. J’ai préféré renoncer car dans l’état psycho-physique où nous étions tous les deux, je préférais ne pas affronter le risque d’une cloche ou d’un renversement raté avec une telle machine dans des conditions de lumière totalement marginales. Bien m’en a pris, car le détournement de mon attention pour suivre cette discussion m’a fait rater la ligne de 168m horizontalement. Pour battre le record du monde « déclaré » il m’aurait fallu gagner 150m d’altitude, et je n’étais qu’à 125km/h soit au mieux une soixantaine de mètres d’altitude. Même en passant la ligne correctement, il n’aurait pas été possible de gagner 150m. Par contre, il aurait suffi d’un arrêt de deux minutes supplémentaires au km 200 pour obtenir le même résultat sans rien risquer.

Les leçons à retenir pour la prochaine fois ?

  • Compte tenu de la faiblesse des conditions météorologiques pendant les 10 premières heures et de leur médiocrité pendant les six dernières, lesquelles ont globalement généré une moyenne de 110 km/h avec une Vz moyenne de 1,1 m/s pendant les montées et 1,7 m/s netto en croisière, je suis très optimiste quant à la possibilité de dépasser 130 km/h pendant le même temps de vol de 15h30, correspondant au triangle de 2.000 km.
  • Le vent a tourné de 70° entre le départ et l’arrivée, nous créant une composante de face significative sur chacune des trois branches, alors que la figure triangulaire devrait théoriquement permettre d’annuler l’influence du vent. Raison de plus pour espérer faire beaucoup mieux dans des conditions moins anormales.
  • Klaus Ohlmann écrit dans son rapport de vol du 8 décembre qu’il a mis 5 ans pour préparer ce triangle de 1.600 km, et je sais qu’il l’a tenté maintes fois. Le fait que je ne m’y soit intéressé que quelques jours auparavant et l’ait réussi à la première tentative me confirme que nous avons le bon know-how et me remplit d’optimisme pour la prochaine saison!
  • Dans ce type de vol, chaque minute compte et j’ai perdu un record du monde pour quelques minutes de retard. Il nous faudra faire de gros efforts pour être alignés en piste moteur sorti au moins une minute avant l’aube aéronautique (et donc de nuit).
  • Nous n’avons jamais ressenti le besoin de faire le point par rapport aux pistes de secours environnantes, à la fois parce que nous en avions bien mémorisées les positions et caractéristiques et avec ce vent il n’y a aucun problème pour dégager vent de travers ou arrière, et surtout parce que nous ne sommes jamais descendus en dessous des nuages, le point le plus bas étant à 4.000m (au contact des sommets des Sc) donc avec 200 à 400km de cône « local ». Relax, ça aussi, c’est l’Amérique! C’est une philosophie personnelle, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Une journée de révision du circuit avant le vol reste un des éléments importants du succès de l’épreuve.