La saison Patagonienne ainsi que le climat de toute l’Amérique du Sud auront été clairement marqués par la Niña, nom donné au refroidissement des eaux superficielles (de 0 à 300m) de l’océan Pacifique, lorsque celui-ci dépasse -0,5°C pendant plus d’un mois. Dès notre arrivée fin octobre, nous avons reçu une alerte comme quoi l’anomalie de température de – 1,4°C était destinée à durer jusqu’au printemps 2011. Ce rapport spécifiait que dans la période de novembre 2010 à janvier 2011, les conséquences seraient une suppression de la convection au-dessus de l’océan Pacifique central tropical et une augmentation de la convection au-dessus de l’Indonésie, avec probabilité d’augmentation des écarts de température.

Voir http://www.cpc.ncep.noaa.gov/products/precip/CWlink/MJO/enso.shtml#history

La prévision s’est totalement réalisée, comme le montre la figure représentant cette anomalie de température. La conséquence pour l’atmosphère étant un refroidissement de la moitié inférieure de la troposphère (entre le sol et 5000 m), d’où un mouvement global descendant générant une compression et donc un anticyclone. Et qui dit compression dit réchauffement. Bien que les températures au sol soient restées typiquement patagoniennes, celles en altitude ont montré une très nette augmentation, comme l’an passé, avec toutes les conséquences négatives que l’on sait sur l’intensité des phénomènes ondulatoires. Seul point positif, nous n’avons jamais eu froid en vol.

Jamais je n’aurais pu imaginer une telle interaction entre l’eau et l’air et surtout de telles conséquences sur le climat à des milliers de kilomètres plus au sud, lesquelles, se faisant ressentir quelques semaines après les mesures de la température de l’eau, nous comprenons maintenant pourquoi le mois de novembre a commencé avec des vents faibles et quelques journées de plage ou de beaux thermiques, alors que fin décembre a été la meilleure période avec tempêtes de neige le 10 et le 11 décembre, à quelques jours de l’été austral. Jamais les stations météorologiques n’ont enregistré une telle pression (entre 1024 et 1038 hPa) et une position aussi sud (entre les 40e et 45e S).

Isobares vus du pôle Sud, explique comment une puissante cellule anticyclonique située juste en face de nous sur le Pacifique nous apporte neige et vent glacial en plein été : la combinaison de la circulation entre les vortex polaires et la cellule anticyclonique Niña-générée provoque un rapide flux de sud provenant directement du pôle, lequel, contrairement à l’Europe où ce flux doit passer sur des terres chaudes pendant des milliers de kilomètres, ne trouve aucun obstacle autre que la mer gelée et quelques icebergs avant de nous arriver sur la tête.

La figure montre la prévision pour le 25 décembre jour de notre triangle de 1650 km. La cellule anticyclonique Niña-générée s’est légèrement déplacée vers le nord suite à la poussée des vortex polaires dont celui du Cap Horn entretient un magnifique flux de W-SW avec jet stream de 120kt à 200mb.

TEMSI du même jour à 12h UTC , met en évidence la position des deux puissants anticyclones sur les deux océans et du centre cyclonique au large du cap Horn. Nous vivrons trois mois dans ces étranges conditions, en observant au microscope les fluctuations de la position de ce fameux anticyclone, guettant la moindre faille permettant aux fronts froids de transiter, toujours très rapidement avec forte nébulosité et précipitation. Aucun rapport avec les situations précédentes gouvernées par le Niño, nom donné au phénomène opposé ou un excès de température provoque un soulèvement global de la partie basse troposphère et donc un abaissement de la pression permettant aux fronts froids de circuler plus librement.

Isotachs 200mb du 9 décembre à 18 Z, montre de façon très claire l’impact de cet anticyclone sur la circulation des jets streams. Cet anticyclone, matérialisé par le cercle bleu foncé (vitesse <10kt) centré sur la position 110-120°W et 40° S, soit 3800 km exactement plein ouest de notre position (70°W et 41°S), réussit à bloquer totalement et à couper en deux le jet stream qui circule habituellement autour de la ceinture polaire. Les deux morceaux du « tuyau » se recollent exactement à notre verticale et nous ont quand même permis de faire un très difficile aller et retour de 1400 km, devant dégager en soirée sur un aéroport de secours pour cause de pluie forte à Bariloche. Le lendemain sera un déluge biblique avec neige dans l’après-midi. Il suffit d’observer l’orientation très fortement Sud de la moitié Sud du jet stream pour comprendre le pourquoi de la très basse température, la convergence entre les deux jets du Nord et du Sud provoquant les très fortes précipitations jusqu’à la neige. La température le matin sous abri était de 1°C, elle sera de -1°C le 11 décembre pour un maximum de 5°. Et pourtant nous sommes à 10 jours de l’été ! Je comprends maintenant pourquoi nous avons vécu lors de ce vol deux situations totalement différentes : belles situations ondulatoires bien matérialisées au Sud de la ligne de convergence située exactement 600 km au nord de Bariloche, vent du 260°, 100 km/h et belle situation en thermiques sous cumulus avec bases à 6000m à partir du kilomètre 650, vent du 290-300°, 100 km/h, aucun système ondulatoire exploitable.

La figure montre le même jet stream le 25 décembre à 00Z, c’est-à-dire la veille de notre triangle de 1650 km, à 21h locales. Il semble y avoir un répit qui ne durera malheureusement pas 24 heures, le monstre relèvera la tête en fin d’après-midi du 25 et nous aurons à nouveau un beau cercle bleu au-dessus de Bariloche, avec vent nul:

Cette situation toute particulière a fait que nous n’avons jamais vécu une journée homogène de l’aube au coucher du soleil. Et en tout cas jamais deux jours de suite. Soit les départs étaient retardés pour cause de pluie ou d’absence de vent (tout en sachant qu’il allait arriver), soit les retours étaient anticipés pour cause de pluie, et même par trois fois impossibles d’où déroutement sur Chapelco, Zapala et Pilcaniyeu.

Nous étions dans une position globalement meilleure que celle des pilotes de Chapelco, ces 100 km plus au Nord faisant effectivement la différence lorsque l’anticyclone est si proche. Ne parlons pas de Chos Mallal, 400 km plus au Nord, considéré comme la Mecque du vol d’onde en Argentine où officiait notre ami Jacques Noël : ce fut une saison tout simplement catastrophique. Avec cette différence que Bariloche, ville de 150 000 habitants, offre tout ce qu’il est possible d’imaginer entre les activités lacustres, terrestres de plaine et de haute montagne, pour le plus grand bonheur de nos compagnes, alors qu’à Chos Mallal, l’environnement est exclusivement minéral, c’est très beau mais il faut aimer.

Il n’empêche que dans ce contexte météorologique particulier, l’expérience accumulée dans ces dix dernières années nous a permis de tirer le maximum de profit de situations complexes. Il faut également reconnaître que les informations disponibles tant par Internet sur les sites publics que par le centre privé http://www.meteo.it/ de notre sponsor Epson, sont aujourd’hui d’une incroyable qualité et précision, et même d’une quantité exagérée. Au point que ne disposant pas du temps nécessaire pour faire journellement la synthèse de ce fouillis d’informations, j’ai dû me résoudre à assigner une personne à cette tâche. Adieu budget !