La prévision pour ce 1er janvier n’était pas des plus brillantes, 0°C au lever du jour- 2°C le lendemain et neige le surlendemain (en plein été…), pluie et couverture nuageuse jusqu’à 9h locales, vent fort en altitude, 70 à 80 kt à 6.000 m mais bien orienté, 250–260°. Certes pas une journée de record du monde, peut-être de record de France en profitant du fait que je suis seul. Le temps de laisser descendre le taux d’alcoolémie suite au réveillon passablement arrosé, de regarder le tableau des records nationaux, et de découvrir que la vitesse sur triangle de 100 km ne m’appartenait pas encore. Je dispose de deux zones bien adaptées à ce type de circuit, l’une à 180 km au sud sous le vent du Cordón de Esquel, qui devrait être involable ce jour pour cause de couverture nuageuse, l’autre à 450 km au nord dans la mythique Cordillera del Viento. Ce sera donc un vol de plus de 1.000km, il ne faut pas trop tarder. Décollage vers 13h locales, vol d’approche banal, pour découvrir que la zone du triangle est couverte (photo 15) par un énorme strato-cumulus rotor lenticularisé dont le sommet est à env. 6.000m, surmonté par un cirrus lenticulaire dont la base est à env. 8.000m.

Il faudra donc voler deux branches du triangle à l’intérieur de ce sandwich. Le bord d’attaque du système se trouve malheureusement décalé de 7 km sous le vent de la longue branche du triangle, celle où je dois profiter de l’ascendance pour remonter à l’altitude de la ligne d’arrivée, les deux autres se trouvant dans la partie descendante de la sinusoïde (fig. 16). Un record du monde dans ces conditions est donc impossible, mais il reste l’espoir d’une performance nationale. Le vent est Ouest, bien orienté, pour 100-120km/h, idéal. Clearance pour FL280, ligne de départ passée à 7.700m, trop lentement, puis la première branche vent arrière dure 4 min, sans problème ; j’aurais pu mieux négocier le premier point de virage et dois parcourir 1,3 km de plus, en arrivant trop vite (430 km/h sol). Pas facile de maintenir la concentration quand le vario est à -12 m/s ! C’est ma première tentative, on fera mieux la prochaine fois ! Pour la deuxième branche, je dois réduire la vitesse (théoriquement la Vne) car il me faut passer au dessus de la tête du strato-cumulus rotor, n’ayant aucune intention de terminer sous le parachute comme un célèbre pilote français en Nouvelle Zélande. Huit minutes plus tard, le 2ème point est tourné sans erreur à 5.600m, puis arrive la branche la plus délicate où il faut ajuster sa vitesse pour franchir la ligne d’arrivée moins de 1.000m sous celle de départ, il me faut donc gagner 1.100m en 45km en volant le plus vite possible. Une Vz moyenne de 6 m/s au voisinage de la Vne (240 km/h indiqué) pendant quelques minutes permet d’atténuer la pénalisation due au décalage de la ligne ascendante par rapport à ligne théorique, située en dehors de l’ascendance, la ligne est passée 110 m au-dessus du minimum. C’est chaud, très chaud ! Branche de 12 minutes qui semblent une éternité. Record battu à 246,5 km/h, je décide de ne pas retenter car d’une part je n’aurais pas gagné plus d’une minute en corrigeant le peu d’erreurs déjà identifiées, et d’autre part il est près de 20h Z et j’ai encore 500 km à parcourir pour rentrer, sachant que la météo prévoit un faiblissement du système ondulatoire, qui m’a effectivement provoqué d’autres chaleurs entre 21h40 et 22h40 Z, me récupérant à 1.300m sol en petit local de la piste de l’estancia Quemquemtreu. Problème causé par un régime supercritique large de 100km, où le ciel n’est plus qu’une succession de rouleaux de Kelvin Helmholtz, inutile de chercher les ressauts, il faut simplement avancer en ne pensant à rien sauf surveiller le local de pistes connues, Mc calé à 2 m/s uniquement pour compenser le vent de face. Contact radio avec Jim Payne qui rentre sur le même parcours après une tentative de badge de 2.000 km, même motif, même punition, il est d’ailleurs descendu plus bas que moi, et rentrera quelques minutes avant la nuit noire, petite panique dans l’équipe Perlan !

En conclusion, ce petit circuit est beaucoup plus difficile que l’on ne pourrait le croire. Il faut des conditions particulières, et il est clair que les pilotes locaux basés à Chos Mallal sont nettement avantagés puisqu’ils ont la vue directe du ciel, alors que les autres doivent se contenter de prévisions, plus un long voyage pour arriver sur place, plus le retour. Je reviendrai, c’était de l’adrénaline à l’état pur !

Petite anecdote : sept jours plus tard, avec un pilote danois, nous retentons la même épreuve dans le secteur Sud (Esquel) et réalisons « seulement » 246,2 km/h.