Le premier décollage vers les volcans.
Le mythique Licancabur trône majestueusement face à ma fenêtre chaque matin, comme l’air est très pur, il est parfaitement visible mais se trouve néanmoins à 110 km de Calama, et il faut être à son pied à au moins à 4.500 m, mieux 5.000 m si l’on cherche le versant Nord (celui au soleil) ou l’onde de convergence. Nul ne savait comment notre petit moteur Volkswagen de 90 CV à carburateur allait se comporter. Certes, le manuel de vol donne un plafond pratique théorique de 5.300 m. Il fallait donc gagner 2.500 m en 100 km, soit finesse 25 en montée, correspondant à une Vz moyenne de 1,2 m/s. Pourquoi pas, mais c’était sans compter sur les 20 kt de vent arrière qui nous aplatissait considérablement l’angle de montée ; se promener pendant une heure à quelques centaines de mètres d’un sol totalement inatterrissable (ci-dessous photo de l’arrivée au km 100), sans être humain visible ni chemin d’accès, m’était insupportable. Donc montées en spirale jusqu’à au moins 500 m sol en conservant finesse 25 pour le retour en cas de panne moteur, pas toujours évident avec 20 kt de vent de face.
Si ce n’est pas la planète Mars, ça lui ressemble beaucoup. A vous dégoûter de tenter une remise en route du moteur !
La première tentative d’accrochage de l’onde du volcan Sairecabur.
Je cherchais à réduire le temps moteur, trouver un appui orographique fonctionnant avec la petite brise de 10-15 kt qui restait encore vers 5.000 m. Après avoir écumé tous les micro thermiques disponibles, plus d’une heure de moteur et 5.000 m, je dois me rendre à l’évidence, les pentes du Sairecabur ne fonctionnent pas, elles ne fonctionneront jamais, par aucun vent. Elles sont irrégulières, ravinées, peu inclinées, dangereuses, le vent n’est plus que 15 km/h. Et s’il y avait une convergence ou un ressaut ?
Mais il faut entrer en Bolivie par un col à 4.500 m, il y a peut être un garde frontière armé ? Le moteur tourne, il nous aidera à maintenir notre altitude (500 m sol). Alea Jacta Est, à 16h19 et 5.100 m, nous contournons le sommet (5.950 m) et nous positionnons là où devrait se trouver la convergence. Miracle, ça bouge ! Le bilan est même positif, le moteur ne nous aide pas mais au moins il tourne. Et un moteur arrêté a plus de chance de ne pas démarrer qu’un moteur qui tourne déjà, aurait dit Michel Audiard ! Dix minutes plus tard et 500 m plus haut, nous pouvons repasser en mode planeur, le retour en plané par le col est assuré si nécessaire. Trente trois minutes plus tard, nous quittons à 7.900 m avec seulement 53 km/h de vent d’Ouest, c’est gagné, le passage est ouvert. Il sera exploité par tous ceux qui accepteront d’entrer clandestinement en Bolivie pour bien commencer le vol. Mais aussi pour « refaire le plein » au retour et assurer la finesse 25 sur Calama. Ce jour là, j’étais tellement convaincu que j’irai chatouiller tous les autres volcans « par derrière », et ça fonctionnait partout, comme dans mon livre.
Le 7 novembre, mon premier vol sur les volcans d’Atacama, et sans aucun doute le premier vol en onde de sillage de volcan, qui était le seul moyen de remonter à 6.000 m (juste sous le sommet du volcan) afin d’assurer le retour sans moteur. Brise d’Ouest 25-30 km/h insuffisante pour faire fonctionner les pentes, de toutes façons compliquées par la conicité parfaite du volcan; mais suffisante pour générer la convergence de sillage.
Le survol des radiotélescopes ALMA à 200 m sol.
Le 21 novembre, premier vol directement vers la Cordillera Domeyko, distante de seulement 50 km et dont le franchissement du col Barros Arana nous garanti le local de San Pedro. Bons thermiques sous cumulus puis tout passe en pur. Comme les thermiques se déclenchent loin des volcans, je décide de passer par l’Altiplano, dont le sol est à 4.500 – 4.700 m, ce qui me fait survoler les antennes paraboliques du radio télescope ALMA (Atacama Large Millimeter Array) à 200 m sol. Surprise, il n’y a personne, tout est automatisé depuis Santiago, juste quelques techniciens logés à Toconao, en contrebas vers le Salar à 2.900 m d’altitude, plus vivable. Pas de zone P sur la carte, je continue. J’espère ne pas avoir généré un “trou noir” dans l’univers… mais ça ne devrait pas fonctionner pendant la journée, quand le soleil est actif. Photos ci-dessous. Nous reviendrons en traversant le Salar, découvrant ainsi San Pedro par les airs et les lagunes salées où nous nous sommes régalés quelques jours plus tôt. Le Paso Barros Arana est encore actif et nous assure à 5.200 m le retour sur Calama dans les règles avec finesse 23.
Le Dr. Eduardo Coopman.
À peine installés sur le parking de l’aéroport, nous apprenons qu’il n’y a pas d’AVGAS. Nous volerons au début avec du super auto mais le 12 novembre, il manque 500 rpm au décollage, nous renoncerons. Après avoir changé les bougies, inspecté les membranes des carburateurs, et un monstrueux torticolis (travail de nuit dans le froid et le vent), pas d’amélioration. Conclusion préliminaire : c’est le carburant. Après contacts téléphoniques avec l’Aéro club local, le Dr. Coopman nous propose de vidanger son Piper PA28 pour y prendre de l’AVGAS, ce qui apparemment résout le problème pour aujourd’hui. Mais demain ? Ce même brave homme, septuagénaire dynamique, francophone, médecin hospitalier à Calama, nous invite à venir faire le plein chez lui à San Pedro, il en aurait 1 000 litres en toute légalité. Nous achèterons 6 bidons et ferons trois fois l’aller et retour à sa ferme en camioneta, où, avec sa jeune épouse de 42 ans et sa fille de 14 ans, ils élèvent sur six hectares, lamas, alpagas, moutons, chèvres, poules, lapins, canards, oiseaux, chiens, chats, en totale autonomie énergétique et hydrique. Merci Eduardo ! Peut être un futur vélivole ? En tous cas un point d’appui stratégique incontournable à San Pedro.
Ces lamas semblent surpris de voir des Européens. Ce sont des camélidés, comme son cousin l’alpaga, tous deux croisements entre le guanaco et la vigogne, meme famille que le dromadaire et le chameau.
Cet étrange désert.
Certes le plus aride du monde, entre la Cordillera de la Costa et celle de Domeyko (voir profil topographique), mais froid la nuit (6 – 10°C au printemps) et pas très chaud en été (25 – 26°C max à Calama), altitude 2.000 – 3.000 m, aucune vie apparente sauf quelques activités minières, aucune atterrissabilité sauf la route Panaméricaine entre les poteaux de signalisation, pratiquement pas d’oasis ni de pluie. Situation totalement différente dès que l’on s’approche de la Cordillère des Andes, où l’eau ressort fréquemment, les oasis sont fréquents (Calama, San Pedro, Chiu Chiu, Machuca), le plateau est fracturé par des quebradas (canyons) où coulent des rios, seuls témoins d’une activité humaine et animale. C’est là que se fixèrent les tribus atacamènes jusqu’à l’arrivée des Espagnols vers 1540, bâtissant des communautés fortifiées appelées Pukaras dont celle de Lasana, proche de Calama, est encore sur pieds et avec un peu de chance, vous trouverez même un guide pour raconter la vie de l’époque. A la différence des Européens, les Incas ont respecté et conservé les traditions atacamènes tout en leur apportant les compléments spécifiques à leur civilisation. Coté argentin, les populations indigènes entières ont été massacrées ou déplacées.
La quebrada du rio El Loa offre à ses habitants tout ce qu’il faut pour survivre dans le désert, mais sans plus.
Le Pukara de Lasana, ancien village fortifié le long du rio El Loa, habité dans la période 400 et 1200 DC, était une merveille d’organisation sociale, culturelle et militaire. L’arrivée des Espagnols vers 1540 a mis fin à cette civilisation.
Les indigènes qui vivaient dans le Pukara de Chiu-Chiu, à 30 km à l’Est de Calama, ont eu moins de chances que leurs voisins de Lasana, car sur ordre de Pedro de Valdivia vers 1540, ils ont été contraints de démonter leur Pukara pierre par pierre pour construire cette église, dédiée à Saint François d’Assise (qui vécut pourtant trois siècles plus tôt). Elle est considérée comme l’église la plus ancienne du Chili, c’est un monument historique et lieu de tourisme, pour le bonheur de ses 350 habitants. Les tombes appartiennent à des dignitaires religieux locaux.
Le désert le plus aride du monde a toutefois un point faible : sa proximité avec la chaîne des volcans et l’Altiplano, qui, grâce au phénomène d’hiver bolivien, apporte beaucoup d’humidité, mais seulement à proximité de l’Altiplano et des volcans. Par exemple, le 21 janvier (donc au beau milieu de l’été tropical), nous avons vécu une journée incroyable d’hiver bolivien : les précipitations ont été si fortes et si froides qu’il a fallu fermer le col Paso Barros Arana, au-dessus de San Pedro, pour cause de neige !
Qui dit eau dit vie, et cette vie reprend donc au pied des volcans vers 4.000 m, le long des lagunas ou des rios. De minuscules villages réussissent à survivre avec un peu d’élevage et les quelques touristes « sportifs » des circuits organisés essentiellement au départ de San Pedro. Voici quelques exemples qui nous ont enchantés.
Le petit hameau de Machuca, 4.000 m, une vingtaine de maisons entièrement en adobe, au pied du volcan Putana, le long d’un minuscule ruisseau du même nom donnant naissance à un marécage. A voir et vivre absolument.
Brochette de lama et « empanada de queso » (fromage) pour les deux seuls touristes de ce jour à Machuca.
L’ouette andine est une petite oie bien sympathique qui passe une vie en couple, tout comme le condor.
Le canard à bec bleu, sarcelle de la Puna, ne vit que dans cette région.
Les mouettes andines sont curieuses et rieuses, mais font des ravages dans les nids des autres oiseaux.
Nous passons sur le volcan Miscanti (5.910 m), devant nous la laguna du même nom (altitude 4.140 m) puis le volcan Miñiques et sa laguna, mêmes altitudes. Deux incontournables du tourisme Atacamène.
Ces beaux cumulus au Sud avec bases entre 7.000 et 8.000 m ne seront pas pour nous, thermique pur uniquement avec plafond vers 6.000 m, soit 1.000 à 1.500 m/sol.
Au fond on aperçoit le volcan Llullaillaco, 6.739 m, le plus élevé de la Cordillère et le second plus haut du monde.