Contrairement aux latitudes habituelles de l’hémisphère nord (45°±5), l’observation des champs de pression et des systèmes frontaux à notre latitude (22°S) ne nous a apporté pratiquement aucune information utile.

  • En un mois, nous n’avons vu passer aucun front. La masse d’air était (presque) chaque jour différente, mais le ciel a toujours été du même bleu, sauf quelques passages de cirrus très élevés, signal faible mais important pour comprendre que quelque chose va changer.
  • En un mois, le vent au sol à Calama a été chaque jour exactement le même, selon la rose des vents du par. 10.
  • En un mois, la couleur du champ géopotentiel à 500 hPa (isohypses) (ci-dessous) fourni par Topkarten (GFS) n’a pas varié d’une seule gradation de brun, sur plus de la moitié du continent américain, comprenant tout le Brésil, la moitié nord du Chili, la Bolivie, le Pérou. Aucune dorsale ni talweg permettant de prévoir un changement de masse d’air ni une quelconque circulation significative au sens où nous l’entendons dans l’hémisphère Nord. Cette carte n’a d’ailleurs qu’une signification relative puisque le sol de l’Altiplano bolivien est lui-même aux alentours de 500 hPa.

 

Cartes des isohypses à 500 hPa du continent sud-américain publiées par Wetterzentrale/Topkarten (modèle GFS). Bien malin celui qui pourra prédire trois journées extraordinaires d’ondes et de sauts hydrauliques pour ces journées du 26 et 27/11, et 1er décembre. Les isobares (lignes blanches) n’ont aucune signification puisqu’elles sont en-dessous du niveau du sol, les champs géopotentiels (couleurs) sont en fait au niveau de l’Altiplano, sans grande utilité. Le code des couleurs est reporté au dessus, l’étoile notre zone de vol.

  • Les sites météo habituellement utilisés en Patagonie Argentine ont été bien utiles pour la prévision des vents en altitude. Combinés avec SkySight, nous avons pu finalement commencer à prévoir les bonnes journées, mais c’était vers la fin de l’expédition. Il faudra donc y retourner !

Les prévisions de vent au FL165, c’est-à-dire à 500 m sol pour ces 3 mêmes journées. Notre latitude est 22°, l’étoile rouge montre notre zone de vol. Apparemment rien d’intéressant selon nos critères habituels, avec 10 à 15 kt à cette altitude. On notera toutefois une forte accélération 500 km au sud, qui s’étend ensuite jusqu’au 52e, sur 3 000 km de longueur. Système toujours piloté par le vortex situé à la pointe Sud, vers Ushuaia. Et présence d’un jet stream entre Santiago et la marge sud de notre position. Donc toujours les mêmes causes pour les mêmes conséquences, mais en plus confortable et sans nuages ni pluie. Il aura fallu apprendre à interpréter les « signaux faibles ».

L’analyse des vents à 5.000 m et 7.000 m est une des clés pour la compréhension du phénomène du 1er décembre. Le gradient est fort, passant de 10-15 kt à 500 m sol à 35-40 kt à 7.000 m soit 1.000 m au-dessus des sommets. Il n’y avait aucun vent au sol à San Pedro (2.400 m), pas suffisamment pour tenir en pente sur le Sairecabur à 5.000 m, juste assez pour former une petite convergence sous le vent, puis un délire à partir de 6.000 m.

Dommage qu’il ait fallu presque 20 jours pour que Matthew (M. SkySight) se décide à changer l’échelle des altitudes, qui était celle habituelle des pays soi-disant « développés », donc maximum 6.000 m, totalement inutile pour nous. Avec 8.000 m pour les thermiques et 7.000 m pour l’onde, nous avons commencé à comprendre les systèmes 10 jours avant de boucler les valises.

Les deux points forts de ce produit sont 1) la possibilité de créer une courbe d’état avec profil des vents en n’importe quel point du globe et 2) de générer des prévisions d’onde à tous les niveaux par pas de 1.000 m jusqu’à 7.000 m, le tout au pas de 30 min. Avec bien entendu la possibilité d’emporter ces prévisions en mode dynamique en vol (avec la position du planeur) sans besoin d’une connexion Internet, évidemment inexistante dans le désert.

Pour une raison encore inconnue, les valeurs absolues des températures indiquées dans les sondages sont inférieures de 10 à 13°C par rapport à la réalité, à la fois mesurée par le LX9000 et par nos sensations, puisque même à 7.000 m nous étions parfaitement à l’aise en chemise à manches courtes, quant à Jean-Pierre, il volait pieds nus dans ses Croc’s.

L’exemple ci-dessous montre la formation de « l’hiver bolivien » vers 14h locales, c’est-à-dire la soudure de tous les cumulus jusqu’à 100% de couverture nuageuse, qui s’écroulent ensuite en filoches, la pluie atteignant très rarement le sol et de toutes façons uniquement dans la zone des volcans et jamais dans le désert d’Atacama.

En observant les cartes des jet-streams, nous avons observé que toute présence de talweg ou de dorsale, ou de jet-stream, jusqu’à 1 000 km au Sud, avait une influence significative sur les conditions thermodynamiques locales. Pourquoi les systèmes ondulatoires aux tropiques sont si sensibles aux moindres courants d’altitude, même très faibles, ceci fera l’objet d’une étude plus approfondie qui sera présentée au prochain congrès de l’OSTIV en 2021. Les premiers jours, nous ne savions pas interpréter ces « signaux faibles », mais la chose s’est améliorée, et SkySight aussi en parallèle, même s’il est resté souvent un peu optimiste. Les deux exemples ci-dessous illustrent une prévision facile et réaliste, sauf que nous ne savions pas comment se concrétiserait le phénomène, en fait beaucoup plus intense que nous l’avions imaginé.

La carte SIGWX pour l’Amérique (Significant Weather) indique clairement un jet-stream de 90 kt au FL430 (13.000 m) env. 600 km au Sud de notre zone de vol, et toute une zone de Cb sur la chaîne andine bolivio-argentine, qui sera la matérialisation d’un gigantesque saut hydraulique, un front stationnaire qui restera immobile tout l’après-midi.

La carte des jet-streams circumpolaires à 300 mb confirme la carte SIGWX en y ajoutant la largeur du courant, qui s’étend sur près de 1 000 km, force 60-100 kt. Le résultat était au-delà de toute espérance.

Une fonction très utile de SkySight est la possibilité d’effectuer des coupes transversales sur lesquelles on peut, selon l’exemple ci-dessous du 29 novembre :

  • Mesurer les distances entre les ressauts, dans le cas présent 18 km ;
  • Observer l’altitude minimum pour accrocher chaque ressaut, dans le cas présent 5.500-6.000 m pour le premier et 5.000-5.500 m pour le second ;
  • Évaluer la force de l’ascendance et ses limites, dans le cas présent 5-6 m/s pour le 1er et jusqu’à 8.000 m, puis 7 m/s pour le second jusqu’à plus de 10.000 m. Mais pour exploiter ces ressauts, il faut un autre équipement d’oxygène.
  • Et ceci chaque 30 minutes jusqu’à la nuit.