Il n’est pas inutile de revenir sur la situation sociale particulière suite aux évènements du 18 octobre, maintenant que j’en ai pris connaissance de l’intérieur et non plus au travers des médias européens, qui se sont longtemps contentés d’une présentation superficielle, partielle et souvent partisane.
L’excuse officielle pour le déclenchement de la révolte du 18 octobre a été une augmentation de 0,034 € du prix du billet de métro « standard » de 0,89 €. Lequel billet se réduit à 0,34 € pour les étudiants, et laquelle augmentation n’était pas applicable à cette même catégorie, qui était pourtant en première ligne des violences.
Lors des premières manifestations, sept stations de métro furent intégralement brûlées, et dix-huit partiellement incendiées. Le timing entre ces déclenchements avait été minutieusement calculé pour qu’il ne soit pas possible d’intervenir efficacement. Les produits de mise à feu et de « taggage » étaient identiques. Lancer plus de 1 500 cocktails Molotov simultanément dans ces stations de métro et certains grands magasins « ciblés appartenant aux multinationales » ne s’improvise pas, c’est le fruit d’une préparation minutieuse. Il en est de même pour les incendies et les saccages et pillages de groupe, où s’est produit le plus grand nombre d’accidents corporels, en partie dus aux mouvements de foule lors des vols suivis des évacuations sous la panique. Les images de vandales sortant en courant avec un frigo ou une TV sur le dos m’ont rappelé celles d’Argentine de 2013 et des années précédentes.
Il ne s’agit donc pas d’un soulèvement populaire spontané mais d’une action soigneusement préparée par des organisations politiques dont le poids au Parlement et au Sénat n’est pas suffisant pour influencer les décisions gouvernementales (environ 5%), mais qui ont décidé de montrer leur force dans la rue. Air bien connu !
Tout comme en France, les agitateurs, également vêtus de noir et cagoulés, venaient en partie de pays étrangers, en particulier de dictatures populistes d’Amérique latine que je m’abstiendrai de nommer.
Étonnamment, les mêmes types de révolte avec les mêmes méthodes ont éclaté en parallèle dans les autres démocraties d’Amérique latine, la Bolivie (ou le président s’est enfui au Mexique), la Colombie et l’Équateur.
Il apparaît donc clairement une volonté externe de déstabiliser ces démocraties pacifiques.
La police et l’armée (les Carabineros, l’équivalent de nos CRS) se sont trouvés désemparés face à l’extrême violence des manifestants, tout comme à Paris lors des premiers évènements des Champs Elysées, et admettent d’avoir sur-réagi. Les services de renseignements ont été particulièrement inefficaces, après avoir été progressivement décapités par les différents gouvernements qui ont suivi la dictature militaire, en réaction à un précédent excès de pouvoir de ces mêmes services. Le 25 novembre, le gouvernement obtient la collaboration des polices de Grande Bretagne, de France et d’Espagne pour y remettre un peu d’ordre et réorganiser les forces chargées du maintien de l’ordre.
La constitution de 1980, écrite par les militaires et largement réformée en 2005, semble être le point commun des contestations, dans un désir de plus de droits pour le citoyen. Tous les partis politiques sauf un s’étant mis d’accord pour proposer un référendum en avril prochain portant sur sa réécriture, la situation s’est progressivement calmée mais pas totalement, car le principal parti de la gauche dure, à l’origine de cette explosion de violence, n’a pas encore accepté les modalités de ce scrutin. Position difficile à soutenir, la population étant las de ces brutalités qui ne correspondent pas à l’esprit de ce pays. À un mois des vacances d’été et des pertes de salaires suites aux grèves à répétition, l’euphorie se confronte avec la réalité. Depuis début décembre, il n’y a plus aucun barrage ni pillage, les universités ont fermé en créant une forme d’examens virtuels pour passer à l’année suivante (tous promus !), les écoles organisent les rituelles remises des prix en grande pompe et uniforme, un peu comme en France dans les années ’50. Un plaisir pour moi de revivre ces traditions, les souvenirs profonds refont surface, parfois même les parfums, le verre de lait sur les bancs (Mendès France), les encriers, il ne manque que la plume Sergent Major.
L’interview d’une artiste pop « engagée », Mon Laferte, au sujet des interventions policières du 18 octobre, est assez significative du niveau de provocation et de l’impuissance du gouvernement (La Cuarta du 25/11) : « Est-ce qu’il te semble que mettre le feu à un supermarché, qui est couvert par une assurance, qui est une entreprise multinationale millionnaire, est plus importante que la vie des gens ? Que cela vaut la peine de faire intervenir les militaires dans la rue pour réprimer le peuple pour un bien matériel ? Pour un bien que l’on nous a volé pendant toute la vie ? ». Une vieille rhétorique marxiste-léniniste centenaire aujourd’hui totalement anachronique. Et pour conclure son intervention incendiaire, elle ajoute « Il y aurait beaucoup de cas où cette même police et ces mêmes militaires furent ceux-là mêmes qui mirent le feu ». Et n’a pas hésité à exhiber sa belle poitrine lors de la cérémonie des Grammy avec l’inscription « Au Chili, on torture, on viole, on tue ». Dans notre pays, de telles affirmations auraient déclenché une arrestation immédiate, mais dans ce pays fondamentalement pacifique, le gouvernement se contente d’étudier « une éventuelle poursuite en justice ».