Je n’aime pas beaucoup raconter un vol, mais celui-ci est trop exceptionnel pour passer aux oubliettes. En effet, contrairement à l’aller et retour et aux yo-yo, dans un grand triangle, on ne repasse jamais au même endroit, les conditions sont totalement différentes sur chacune des trois branches, il faut chaque fois se réinventer des stratégies de route et des tactiques de cheminement. C’est vraiment l’épreuve reine du vol à voile, avec l’aller simple.

Donc décollage à 6h03 locales (09h03 UTC) avec 30 minutes de retard sur l’aube officielle. Moteur jusqu’au point d’onde habituel qui est aussi notre point de départ, où nous retrouvons John Williams qui, bien que parti 30 minutes avant nous, est encore en dessous car compte tenu des 20 minutes d’autonomie des batteries, il coupe le moteur au bout de trois minutes à 300 m QFE sur la pente de service et monte les échelons tout doucement. Bien lui en a pris puisqu’il aura besoin de ce moteur pour rentrer le soir après le passage de la ligne d’arrivée.

L’onde est bien faible (2-3 m/s) pour un vent de 80 km/h à 4.000 m, mais surtout très fortement sud-ouest, 220 – 230°. Peu importe, nous partons quand même. Le ciel est coupé en deux : vers le Sud et le Sud-Est, 6/8 de strato-cumulus ondulés avec bases vers 3.000 m et sommets entre 4.000 et 5.000 m, vers le nord ciel bleu avec quelques fractos épars.

Le soleil se lève sur la couche qui d’un gris sinistre passe à un rose éclatant au lever du soleil en nous remplissant de joie.

L’ouest est évidemment totalement couvert mais heureusement l’altitude de cette couverture est plus faible que d’habitude, ce qui nous permettra d’aller tourner le premier point de virage au-dessus de la couche sans souci majeur. Je prends même le temps de faire une photo.

En effet, dans ce type de triangle, afin de maintenir le point de virage externe (celui à l’Est) dans une zone encore collinaire donc génératrice d’ondes, il faut déplacer les deux autres points de virage le plus possible vers l’Ouest, donc nécessairement au-dessus d’une zone morte à la frontière chilienne.

Le trajet depuis la dernière onde sous le vent en Argentine jusqu’à ce point (au delà de la frontière), une cinquantaine de kilomètres, est un vol purement balistique réalisé à une vitesse permettant de revenir raccrocher la dernière onde à une altitude de sécurité. Mais c’est tout de même l’affaire de au moins 2.000 m perdus.

Et c’est là que commence la mauvaise surprise avec les contrôleurs. Convaincu que Bariloche a transmis notre plan de vol à Ezeiza Sur (le centre de contrôle de Buenos Aires), je demande une clairance pour FL 230 au-dessus de Chapelco. Ce qui ne devrait pas être un problème puisqu’il n’y a pas de trafic dans cette zone, et encore moins à 7 heures du matin le jour de Noël ! Eh bien non, pas aujourd’hui. Tout d’abord Bariloche n’a pas encore transmis le plan de vol et la gentille dame n’est pas très contente, il faut tout recommencer. Heureusement le FPL est à nouveau approuvé mais seulement jusqu’à FL 195. Je demande alors (en espérant secrètement qu’elle ne comprendra pas la limitation géographique de longitude 70° par rapport au point déclaré, qu’elle ne connaissait d’ailleurs pas) d’appliquer le NOTAM 4274 qui autorise jusqu’à FL280. Après quelques minutes d’attente, c’est son chef qui nous répond sèchement que puisque le NOTAM prévoit également qu’il faut maintenir la communication avec le contrôle, il estime qu’il y a un risque de perdre cette communication et refuse donc d’autoriser le dépassement de FL 195. Inutile de s’énerver, nous nous contenterons de FL 195, la situation ne justifiant pas une infraction car le transpondeur est en service et répond aux interrogations (probablement chiliennes).

Du point de vue vélivole, la situation n’est pas brillante. Les routes énergétiques habituelles sont très faibles, les Vz netto sont de l’ordre de 1 m/s, insuffisant pour continuer car il faut monter, d’où obligation de nous arrêter à l’entrée de la TMA de Bariloche dans la seule ascendance acceptable dans un rayon de 100 km, moyenne 2 m/s, une misère!

Nouvelle surprise : Ezeiza n’a pas transmis notre plan de vol à la TWR de Bariloche, pas plus que l’employé de l’ARO du jour précédent ! Pas de souci, on recommence, c’est gratuit ! Et nous mettons le cap au sud-est. Alea Jacta Est, en Français, quand faut y aller, faut y aller ! Bruce me rappelle que par précaution, il a pris son maillot de bain, le prochain point de virage étant proche de l’Atlantique.