Comme je ne doute pas que le lecteur aura assimilé les vingt-sept pages du chapitre 7 de mon livre, et de belles images valant mieux qu’un long discours, les légendes des illustrations vont vous régaler. J’ignore si l’augmentation de la fréquence d’apparition des sauts hydrauliques est une conséquence du changement climatique ou le fruit d’une meilleure compréhension du phénomène suite aux études ayant conduit à l’écriture de mon bouquin, ou plus probablement la combinaison des deux. Toujours est-il qu’un grand nombre de journées de vent d’ouest m’ont permis d’identifier leur présence et les exploiter pour le plus grand plaisir de mes pilotes. Avec toutefois une nouveauté importante, j’ai vu pour la première fois le flux super critique[1] descendre jusqu’au sol dans la pampa sous le vent du Cordón de Esquel, devenu méconnaissable et inexploitable, dépourvu de tout mouvement ondulatoire, laminé par le flux super critique jusqu’au front du saut situé 40 km sous le vent du sommet [PHOTO 11]. Jamais je n’aurais poursuivi ma route dans le bleu sur ce circuit si je n’avais pas compris ce phénomène, dont la longueur était d’environ 200 km, sauf que notre point de virage était dans le front froid, et comme j’avais un pilote professionnel IFR avec moi, un appareil équipé, un équipage entraîné et pas de risque de givrage, pas de souci, on y va. Super Fabrice ! Fichier du vol du 2 janvier 2017.

[1] le flux est dit supercritique lorsque sa vitesse dépasse celle théorique correspondant à la différence de pression entre l’aval et l’amont. Cette situation ne peut pas durer indéfiniment et le saut hydraulique prend naissance à l’endroit où cette vitesse redevient égale à celle normale, générant une ascendance unique de type laminaire d’une longueur pouvant atteindre des centaines de kilomètres.

2 janvier 2017 avec Fabrice. Entre un front qui entrait par le sud et l’absence de vent au nord en début de journée, nous partons pour un 3 points de 1.500km avec un décollage tranquille à 9h. L’accrochage de l’onde sur la pente se révèle trop long, un coup de moteur pour aller vers notre point de départ qui donne 8 m/s, du jamais vu cette année, hier il donnait 0,5 m/s. FL 230 autorisé, ça chemine très bien malgré un vent de 120-140 km/h, mais le 1/8 du matin devient vite 4/8, désorganisé, le point de virage au km 300 est dans la couche, le front est juste sur le point. Décidons donc de faire ces quelques km dans le front car le sol est quand même visible, nous ne sommes pas très haut (5.000m), les gyros sont en marche au cas où, mais n’en n’aurons besoin. Tournons le point dans le secteur sur l’écran à 7km du point qui est dans le nuage. Coup de bol! Retour sur la pointe des pieds dans un système totalement déstructuré par l’arrivée du front. Les Vz sont trop faibles pour monter, nous nous contentons d’avancer autour de 4.000m pendant 200km parcourus en 1h1/2, que c’est long! Il faut se décaler jusqu’à 40km sous le vent des chaînes pour trouver des ressauts exploitables en ligne droite, mais pas pour monter (probable saut hydraulique en formation, le flux semble supercritique), puis tout se remet à fonctionner en arrivant près de chez nous. Vu le temps mis pour faire les 500 premiers km (moyenne 130 km/h), nous ne nous faisons pas d’illusions sur l’issue du « comme prévu« . Le reste est classique sauf que toute la plaine à partir de Chapelco (km 115) vers le nord est totalement bleue. On y va sur la pointe des pieds en profitant de l’onde de sillage du volcan Lanin (ça marche comme dans mon livre!) et je me jette dans les 110 km de bleu qui nous sépare de la chaîne de Catan Lil, qui nous gratifie d’un bon 4 m/s à 4.500m. Miracle, les premiers lenticulaires se forment au fur et à mesure que nous avançons vers Loncopué, une merveille, d’autant plus que Buenos Aires nous autorise le FL 250, que nous aurons du mal à garder, avec 5 m/s à la Vne! Il ne fait que -20°C à 8.000m, c’est encore agréable. Le dernier Metar de Bariloche n’est pas bon, 6/8 de Sc à 3000ft, visi 5 km pour pluie intense, il faut faire demi tour afin de se réserver 2 heures de lumière pour un éventuel déroutement. Buenos Aires est bien content de nous transférer sur Bariloche TWR car la situation météo se complique sérieusement, le terrain est IMC, puis un contrôleur ami me conseille d’attendre une vingtaine de minutes, car selon lui, ça va s’arranger. Donc on ralentit et on monte, on verra plus tard. Ce n’est pas dans le manuel officiel de procédure, mais ça marche! En arrivant à 6.000m au km 70, nous entrevoyant une forme qui ressemble au lac et les 40 derniers km sont parcourus avec visibilité exclusivement verticale sous une pluie battante. C’est bien pour Fabrice, qui rentre à Paris demain!

Oui, c’est bien notre lac qui apparait sous une pluie battante, un quarantaine de kilomètres devant nous. Nous y arriverons avec une finesse 10, comme prévu.

 

Ce même jour, 500 km plus au nord, le saut hydraulique de Catan Lil fonctionnait parfaitement mais lui aussi sans aucun nuage d’altitude. Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Il est certes bien difficile de maintenir le niveau dans ces conditions, au voisinage de la Vne, aérofreins à éviter ansolument…

2 janvier 2017. Au point de virage Nord, dans le saut hydraulique de Catan Lil à 8.000 mdans le bleu, proche de la Vne avec 3,5 m

Le plus beau saut hydraulique de la saison fut encore une fois celui de Catan Lil, au point que l’un de mes amis pilote de ligne chez LAN m’appela le soir pour en discuter parce qu’il était passé juste au-dessus de nous (merci TCAS !) et de ce nuage. J’ai récupéré les images satellites. Photo ci-dessous: Le 6 janvier, point BIVIK, 250 km au sud de Bariloche à 7.200 m en regardant vers le Nord. On observe parfaitement les rouleaux de strato-cumulus d’un système d’ondes de ressaut résonnantes, un peu plus au Nord, des lenticulaires du même système et à l’étage supérieur des cirrus dont le bord d’attaque « frangé » est le parfait témoignage d’un saut hydraulique qui s’étend sur plus de 500 km. Les Vz des ondes sinusoïdales de ressaut sont nettement plus élevées que celles des sauts hydrauliques, mais il faut surfer d’une onde à l’autre et donc ralentir de temps en temps pour monter. En contrepartie le front du saut hydraulique, bien que très frangé, permet de moyenner une trajectoire à altitude relativement constante, le résultat final étant à mon avis en faveur du front du saut, mais ceci est purement subjectif. J’ai également souvent observé que la vitesse horizontale du vent dans le front du saut était sensiblement inférieure à celle moyenne de la masse d’air, ce qui permet de gagner en vitesse de croisière. On observera que le front du saut est apparemment déconnecté des systèmes de ressaut, et en me positionnant sous le bord d’attaque du pseudo lenticulaire, je me suis souvent trouvé à la verticale des sommets de la cordillère, quelquefois même très à l’intérieur de la chaîne.

Le 6 janvier 2017, point BIVIK à 250 km au sud de Bariloche et 7.200 m, regardant vers le nord. On distingue nettement les stratocumulus des ondes résonnantes à l’étage moyen vers 4.000 m ainsi que, vers le nord, les lenticulaires qui leurs sont associés, et les cirrostratus du saut hydraulique à l’étage supérieur, vers 8.000-10.000 m, possédant un bord d’attaque « frangé » et pas de bord de fuite, s’étalant sur près de 500 km. Les Vz des ondes de ressaut sont plus élevées que celles du saut, mais il est nécessaire de « surfer » d’un ressaut à l’autre et ralentir de temps en temps pour monter. D’un autre coté, le front du saut, bien que parfois fortement frangé et tortueux, permet de rester constamment dans l’ascendance à altitude élevée et relativement constante, le résultat étant, à mon avis, en faveur de ce dernier; mais il s’agit d’une opinion purement objective. J’ai aussi souvent observé que la composante horizontale du vent dans le front du saut est significativement plus faible que celle moyenne de la masse d’air, permettant ainsi d’augmenter la vitesse de croisière. Nous avons également souvent observé que les deux systèmes pouvaient être totalement déconnectés en altitude, et, en suivant le bord d’attaque du front, nous nous sommes souvent retrouvés au Chili, au vent de chaine de la Cordillère, très à l’intérieur du massif montagneux (Andy Aveling se souviendra de cet épisode surprenant en janvier 2011).

Photo ci-dessous: toujours le 6 janvier à 20:12, 140 km au nord de Bariloche en regardant vers le Nord, Zapala se trouve 110 km devant dans l’axe de la photo, dans l’ombre du « monstre », le sommet visible à gauche est celui de Catan Lil. On observe également de beaux rotors d’ondes de ressaut générées par les vallées visibles en dessous, profondes seulement quelques centaines de mètres, des nuages lenticulaires de ressaut dans le lointain, le pseudo lenticulaire du saut hydraulique qui ressemble à un lenticulaire car il possède un bord de fuite bien défini, et au-dessus, le vrai pseudo lenticulaire typique du saut hydraulique dont le bord d’attaque est extrêmement frangé et le bord de fuite est indéfini, comme en témoigne l’ombre portée qui s’étend jusqu’à l’horizon. Nous sommes à 5.100 m, le nuage est à 120 km, nous ferons demi-tour après les photos d’usage à plus de 8.000 m.

Photo satellite du même secteur à 20:45, trente minutes après la photo précédente. On voit très nettement les ondes résonnantes que nous avions utilisées au sud de Bariloche, les petits rotors d’ondes isolées sur la pampa là où nous nous trouvions, le nuage lenticulaire visible sur la gauche de la photo, répété trois fois, il s’agit donc bien d’une onde de ressaut probablement combinée avec le saut hydraulique, longueur environ 100 km. Lequel se prolonge sur encore 100 km immergé dans le pseudo lenticulaire visible sur la photo 15, d’une largeur d’une soixantaine de kilomètres, et plus au sud des franges résiduelles témoignages de l’existence du saut hydraulique naissant dont l’exploitation n’est sans doute pas simple. La structure se poursuivant plusieurs centaines de kilomètres vers le sud. Situation pré-frontale, le front froid étant bien visible sur la gauche. La ligne de crêtes est matérialisée sur l’image satellite par la ligne de frontière avec le Chili.

Photo satellite du même secteur à 23:08, la dernière dans le spectre visible. La structure initiale des 200 km les plus au Nord n’a pas varié d’un millimètre, ce qui confirme la présence de l’onde de ressaut orographique mixte avec le saut hydraulique. Alors que celle plus au sud s’est renforcée sous forme d’un parfait pseudo lenticulaire dont le bord de fuite déborde jusqu’à l’océan Atlantique et le bord d’attaque est exactement celui des cirrus des photos précédentes, à une altitude de l’ordre de 10 000 m. Lequel n’a évidemment aucun rapport avec l’orographie. On observera que les trains d’ondes résonnantes sont maintenant bien structurés et l’aller-retour de 1.500 km aurait pu être tourné à 250 km/h de moyenne ; mais il ne restait que deux heures de lumière.

Situation fréquente au retour le soir. Les situations les meilleures étant « pré-frontales », il arrive souvent que l’arrivée le soir se fasse dans le front, qui profite du trou du lac Nahuel Huapi pour pénétrer, le sommet de la couche étant autour de 5.000 m. En montant vers 6.000-7.000  m, et avec l’aide (non officielle) des contrôleurs et de l’équipe à la maison pour identifier les taches de lumière au sol, nous aurons toujours réussi à trouver un trou comme celui-ci pour rentrer, contrairement aux années précédentes.