Ce médecin anesthésiste suisse démontre un intérêt particulier pour l’utilisation rationnelle de l’oxygène en usage médical et aéronautique. En tant que vélivole alpin confirmé (2.700 heures) et co-propriétaire d’un ASH-26 E bien équipé, il a profité de son stage en Patagonie pour vérifier en biplace et à haute altitude certaines hypothèses qu’il ne pouvait aborder en monoplace en Europe. Bien que ce domaine soit beaucoup trop vaste et complexe pour être traité en profondeur dans cette rubrique, le sujet a été abordé lors d’une réunion annuelle antérieure des médecins-aéro vélivoles (APSV) à Saint Auban. Il est également l’auteur d’un article mainte fois cité et commenté (qui sera téléchargeable sous peu sur notre site www.topfly.aero,) ayant comme sujet la sous estimation systématique de l’hypoxie légère (car légalement tolérée) et ses multiples dangers en vol à voile. Heini m’a promis qu’il publierait ses nouvelles conclusions de façon détaillée dans un prochain numéro de votre magazine préféré.
Les expérimentations ont eu lieu avec Heini comme cobaye, équipé de son pulsoxymètre au poignet (Minolta Pulsox 3). Son capteur très plat était bandé sur l’index et couvert d’un gant noir afin de maintenir une bonne microcirculation digitale, pré requis pour une bonne fiabilité des valeurs affichées. Chaque pilote avait son propre EDS-D1 qu’il réglait à sa façon, mais les deux EDS-D1 devaient se partager le débit d’un seul détendeur XCR par bouteille, soit de celle à l’arrière du fuselage (8 litres x 160 bars) soit de celle du compartiment bagage (4 l x 200 bars), les deux bouteilles pouvant être ouvertes simultanément.
Suite aux expériences antérieures décevantes due au gaspillage d’oxygène avec divers masques faciaux, les deux pilotes n’utilisaient que leurs canules nasales, même à 8.000 m. Toutefois, Heini a saisi l’occasion pour essayer temporairement son masque A-14 qu’il a modifié et qu’il porte par dessus la canule nasale afin de créer une chambre humide confinée. Sa valve expiratoire étant inversée de sorte que l’entrée originale par le tuyau plissé est devenue la partie expiratoire afin de pouvoir ajouter un à trois filtres perméables pour l’air mais pas pour l’humidité. Bien que le premier but soit la thermo conservation, ce dispositif devrait permettre une meilleure oxygénation par le frein expiratoire que les trois filtres en série occasionnent. En plus il devrait éviter que l’air expiratoire humide et réchauffé à température corporelle puisse givrer la canopée.
Je profite donc de ces lignes pour vous transmettre nos conclusions préliminaires qui pourront vous être utiles pour les vols de cet été.
- L’utilisation du système EDS-D1 en position N ou D5 en utilisant les canules nasales permet une saturation d’O2 d’au moins 90 % jusqu’à 6.000 m en respirant comme d’habitude, c’est à dire sans attention particulière quant à sa profondeur.
- Bien que l’EDS soit sensé offrir suffisamment d’oxygène à toutes les altitudes en adaptant automatiquement la durée de la pulsation d’O2 au début de l’inhalation à la pression statique, il s’avère qu’à partir de 6.000 m les saturations d’O2 obtenues passent en dessous des 90 %, valeur minimale requise pour un bon fonctionnement du système nerveux central, dont les yeux, la capacité du jugement, les perceptions etc.
- Par conséquent la prolongation manuelle de la durée du pulse d’O2 s’impose, moyennant par exemple les positions F 10 > 6.000m, F 15 > 7.000 m, sans hésiter à passer sur F 20 ou R/M au moindre doute déjà avant 8.000 m. Ces positions F sont en principe censées compenser pour les pilotes lourds, stressés, vacillants ou utilisant le masque « inéconome » par pure obéissance. Devant compenser de cette façon les effets seuls de l’altitude, cela revient à épuiser la marge de manœuvre et/ou de sécurité en cas de besoins accrus aigus.
- Afin de conserver ses capacités mentales, il est indispensable de maintenir à tout moment un taux de saturation supérieur à 90 %. Toute valeur inférieure expose au danger qui peut être une analyse erronée, tardive ou omise, une mauvaise décision, un retard dans une décision en soi valable avec le potentiel d’un accident ultérieur. Toute valeur inférieure à environ 80 % peut conduire à l’incapacité immédiate en vol. Cela est arrivée à Heini, alors qu’il pilotait, suite à une attaque inattendue de toux sèche qui ne voulait plus prendre fin. Impossible de demander « Reprends les commandes! », quand on tousse sans arrêt. Sa saturation a dégringolé à 65 %; il a fait connaissance avec la fameuse vision « tunnellaire » ainsi qu’avec la stupeur, cette incapacité totale de réagir, les yeux encore ouverts et les oreilles pleines de reproches provenant du siège arrière. Heureusement l’incident s’est produit en vol laminaire, bien trimmé et surtout en double commande; j’avais bien noté son absence de réponse et réaction et donc repris les commandes. En revanche, Heini a raconté qu’il avait tôt eu l’intention de sélectionner la position R/M afin de faciliter la récupération, mais qu’il a déjà été incapable de lire, voire d’identifier quoi que ce soit sur son EDS-D1, pourtant fixé à la ceinture d’épaule pour être dans son champ visuel. Son temps de conscience utile s’est épuisé en toussant, bien qu’il disposait d’une saturation initiale confortable supérieure à 90 % avant le plongeon dans cette expérience qui fût subjectivement de moins en moins déplaisante, mais de plus en plus dangereuse. Les altitudes supérieures à 6.000 m pardonnent difficilement l’interruption temporaire de l’oxygénation.
- Tout pilote volant sérieusement en onde (pendant des heures au-dessus de 5.000 à 6.000 m) doit être équipé d’un pulsoxymètre d’un modèle ad hoc et pouvoir s’en servir d’une façon anticipative et suspecte. Une fois le pouls digital régulier identifié et sa détection adaptée, le pulsoxymètre affiche immédiatement des valeurs utilisables. Mais les mauvais positionnements fréquents initient chaque fois une nouvelle recherche du pouls digital, raison pour laquelle les pulsoxymètre simples et bon marchés du type « clip digital » ne sont guère pratiques en vol.
- Dans un planeur biplace équipé de deux EDS individuels, mais alimentés à partir d’un seul détendeur XCR, moyennant la tuyauterie standard en polyuréthane fournie par MH (ø 2,5 mm au départ des bouteilles et ø 4 mm vers les canules nasales), la quantité d’oxygène fournie à chaque pilote est égale au mieux au minimum requis au-dessus de 6.000 m. Ceci signifie en pratique qu’elle risque d’être insuffisante en position N ou D5 lorsque les deux pilotes inspirent simultanément, même si le détendeur est vendu pour fournir deux fois le débit minimal. Il n’est pas exclu que la division ultérieure du flux d’O2 après le détendeur favorise l’EDS le plus proche du raccord en Y et aussi le plus généreusement réglé/utilisé et impose ainsi un effet « steal » à l’autre EDS.
- L’application du masque A-14, modifié par Heini Schaffner, augmente régulièrement le taux de saturation d’O2 de 3 à 4 % en une minute, ce qui permet pour les vols à haute altitude une réduction du débit pulsé d’un cran, soit une économie d’environ de 20 %, ce qui est non négligeable. L’optimisation du débit d’O2 vise la préservation des réserves d’oxygène à bord, afin de permettre deux longs vols en partant de bouteilles pleines; je pense ici aux atterrissages imposés par une météo imprévue sur un aérodrome éloigné où le retour en vol le lendemain devra encore utiliser beaucoup d’oxygène.
- Une respiration volontairement approfondie permet une meilleure utilisation des pulses administrés et augmente par conséquent le taux de saturation de 2% à 5 % à parité de débit choisi. La respiration volontaire nécessite l’attention continue du pilote; dès qu’il est absorbé par une autre tâche en vol, il revient à sa respiration autonome plus superficielle et rapide, dont l’efficacité amoindrie de l’échange gazeux demande un débit d’O2 accru.
- Le délai entre la variation du débit d’O2 (positions F10-25 de l’EDS-D1) et l’amélioration de la saturation d’O2 est relativement rapide, mais prend quand même une bonne minute. En cas de sous oxygénation il ne faudrait donc pas hésiter à augmenter de deux crans le sélecteur pour quelques minutes, quitte à revenir en arrière d’un cran un peu plus tard dès que l’amélioration s’affiche. L’excès de consommation sera insignifiant mais par contre le résultat arrivera plus rapidement.
- Les pilotes souffrant d’une déviation de la cloison nasale doivent impérativement modifier leur canule afin de privilégier la narine du meilleur passage. Ce mécanisme a été identifié en pratique suite à l’endormissement complet en vol d’un autre co-pilote! S’il s’agissait d’une simple congestion nasale, il ne faudrait pas hésiter de recourir aux gouttes nasales (toujours présentes dans la pochette); si le problème devait survenir en vol il conviendra de les appliquer sans ôter les canules nasales. Mais attention, la combinaison de l’hypoxie, du froid, du stress et des gouttes vasoconstrictrices peut augmenter considérablement la tension artérielle dont la première manifestation est parfois un saignement inopportun du nez!
- En cas de bouteille vide, givrage du détendeur, panne électrique de l’EDS à vanne magnétique fermée, la descente en urgence à une altitude de survie (mais pas encore confortable ou exempte de déficit neurologique), très inférieure à 6.000 m durera plusieurs minutes et nécessite une alimentation de secours en oxygène indépendante des systèmes défaillants à bord. De même, pour les vols exigeants des passages à haute altitude (supérieure à 8.000 m) ou pour lesquelles il peut être impossible de descendre rapidement (vols au-dessus de la couche), il est impératif d’emporter avec soi (dans la combinaison) un système de secours à cartouches remplaçables. Un système japonais (CO-PILO2T chez MH ou Oxy Mini Set chez Audax-Keck) ne pèse que 270 g et offre une dizaine de minutes d’autonomie à raison de 2 litres/min; il est livré avec 3 cartouches à 0,1 l x 180 bar = 18 l non expansés par l’altitude.
En conclusion la question de l’oxygène revêt un caractère beaucoup plus important que l’on a l’habitude de lui prêter, mais la vulgarisation des pulsoxymètres digitaux va permettre une meilleure compréhension et prévention des incidents et dangers hypoxiques qui accompagnent encore ce genre de vol à voile. Vu les réserves limitées en O2 qu’un planeur peut emporter, l’EDS offre pour le moment la meilleure façon de les administrer aux pilotes, mais son évolution est encore loin de la perfection.