Le profil topographique ci-dessous s’arrête à l’Altiplano bolivien, la Puna, dont l’altitude moyenne est autour de 4.000 – 4.500 m. L’aéroport de la capitale La Paz, à droite de ce croquis, est à plus de 4.000 m. Ce plateau descend en pente douce vers le Nord Est, vers les plaines d’Amazonie, d’abord boliviennes puis brésiliennes. En observant les flux dans les basses couches, j’ai noté que, par certaines conditions que seul SkySight était capable de prévoir, la masse d’air chaud et humide amazonienne remonte sur le l’Altiplano bolivien jusqu’à la chaîne des volcans, qu’elle atteint en début d’après-midi, et c’est la fin de nos beaux cumulus. Par chance, nous ne sommes qu’au printemps, mais en plein été, en février, les cumulonimbus peuvent donner lieu à des précipitations catastrophiques comme ce fut le cas en 2015 où même Calama fut inondée.
Donc premier cumulus sur les volcans vers 10h, visible à 100 km depuis Calama, le temps que le QFU repasse au 28 pour permettre le décollage, une heure de moteur pour y arriver, un peu de promenade et il est 14h, c’est le commencement de la fin. Pas besoin d’attendre que les cumulus dégénèrent, on s’en rend compte immédiatement car le vent passe au NE au dessus de 4.000 – 5.000 m.
Par chance, à cette saison, l’air bolivien ne dépasse pas la ligne des volcans et la Cordillère de Domeyko reste indemne, les cumulus sont sains mais ne permettent pas d’aller bien loin, le panorama est celui du désert d’un côté et du Salar d’Atacama de l’autre, beaucoup moins intéressant. En conclusion, les jours de thermique pur étaient les bienvenus, au moins la masse d’air en flux d’Ouest faible était homogène et restait saine tout l’après midi.
Les photos ci-dessous illustrent une situation typique d’hiver bolivien vue du sol en regardant vers le Licancabur, profitant d’une visite à la Vallée de la Lune (Cordillera de la Sal) à San Pedro, entre 11h29 et 13h47.
11h29 Le ciel est splendide, cumulus isolés vers 7.000-8.000 m. Le village de San Pedro est visible à droite et le Licancabur (5.916 m) face à nous. On ne peut toujours pas décoller de Calama.
12h26 En une heure le ciel a totalement changé, passant de 1 à 4/8 Cu, les bases sont encore entre 7.000 et 8.000 m mais certaines commencent à tomber en filoches.
13h21 En une heure, le Licancabur est devenu involable, tout s’écroule. Encore quelques possibilités de trouver quelque cumulus « vivant » vers le Nord, tout en gardant le local de l’aéroport.
13h47 Fin des vols. Ce schéma se répètera chaque fois que la circulation d’Ouest en altitude sera faible, permettant à l’air humide amazonien de pénétrer sur l’Altiplano.
La même situation vue de 7.000 m en regardant vers le Licancabur et le Sud Ouest depuis le Sairecabur. Demi-tour.
La même situation vue de 7.000 m en regardant vers le Sud et la Laguna Verde (Bolivie puis Argentine). Le centre de l’Altiplano semble encore actif, mais pas pour longtemps.
La journée du 15 novembre est typique de cette situation. Alors que la carte du géopotentiel à 500 hPa ne montre aucun signe de circulation (identique à celles du chap. 15), l’examen de la carte des vents à 5.000 m ci-dessous montre non seulement une faible circulation de Nord sur Atacama, env. 5 kt, mais aussi une rotation de la circulation de la masse d’air à E-NE, toujours 5 kt mais sur tout le territoire bolivien. C’est peu de chose, mais suffisant pour permettre l’entrée de l’air humide amazonien. Comme déjà dit, dans ce pays, il faut être attentif aux signaux faibles.
Par contre, la courbe d’état fournie par SkySight ci-dessous est catégorique et ce n’est pas un signal faible : entre 5.000 et 6.000 m au volcan Putana, le vent passe de W-NW à E-NE mais surtout il y a condensation. Aux altitudes supérieures, la masse d’air semble saine et repasse en circulation d’Ouest au-dessus de 7.000 m. Donc possibilité de continuer le vol en recherchant des zones ouvertes. Mon rapport du jour dit ceci : « Toujours entre deux H sur Pacifique et Bolivie avec une L locale sur l’altiplano bolivien, qui génère une forte aspiration diurne provenant du désert (et mer) avec formation de Cb dès midi. Cu très tôt le matin (9h) sur tous les volcans, puis écroulement commençant vers 12h, les Cu dont la base est à 7.000m deviennent des Ci et réduisent l’insolation. Le cycle reprend toutefois avec nouveaux mini Cu, et quelques fractos matérialisant une convergence entre la masse d’air bolivienne poussée par un petit vent E-NE 20-25 km et la brise montante opposée. » NB : les valeurs de température sont inférieures de 10 à 13°C par rapport à la réalité. Nous n’avons jamais eu de température négative à 6.000 m.
La même carte Skew-T (ci-dessous) du 16 novembre est encore plus claire, le vent fait un demi-tour en quelques centaines de mètres entre 4.800 et 5.000 m, puis condensation sur plus de 3.000 m de hauteur. Journée tourisme ! Mon rapport du jour dit ceci : « Cu très tôt le matin (9h) sur tous les volcans, puis écroulement commençant vers 10h30 et couverture totale par enclumes ou étalements dès 14h. Pas de vol. »
Les cycles de ces situations ont une durée de 3 à 5 jours. De même, les situations où la circulation est Ouest sur la totalité du territoire, favorables aux thermiques et/ou ondes de tous types, ont une durée similaire, en général, la meilleure partie commençant vers le 2ème jour. Mais tout reste à découvrir. Si nous relançons une expédition, il conviendra de négocier avec SkySight pour avoir une prévision à 5 jours avec les courbes d’état Skew-T.
Indépendamment de la présence de l’hiver bolivien, il faut garder en mémoire qu’à cette latitude (22°), l’activité thermique s’arrête brutalement et assez tôt, il fait nuit à 20h. Les cumulus peuvent encore être présents mais l’ascendance n’est pas garantie. Des bases effilochées sont le signe d’une prochaine extinction des feux. La photo ci-dessous, prise à la verticale de San Pedro, montre en premier plan la Cordillera de La Sal, un ancien lac salé asséché « retourné presque à la verticale » par les poussées géologiques entre -70 et -50 millions d’années, et en arrière plan la Cordillère de Domeyko, même âge, thermiquement active, plafond proche de 6.000 m et le col Paso Barros Arana (3.430 m). C’est la garantie du retour à Calama (vol du 21/11). Il est 16h et les nuages commencent à s’effilocher. La ligne de crête sur l’horizon est en fait la mine de cuivre de Chuquicamata et Calama à son pied, distant de 100 km.