Le lendemain de mon arrivée à Buenos Aires, alors que j’allais chercher à l’aéroport mon ami Mattanò, vélivole expérimenté et ex Captain de 747 chez Aerolineas Argentina, nous rencontrons par le plus pur des hasards Lito Fentanes, président de la CADEA, l’équivalent de notre Aéro-Club de France, lequel nous entraîne dans une réunion avec le responsable militaire du trafic aérien et la chef des contrôleurs de la région centre, dont dépendent Bariloche et San Martin de los Andes. À notre plus grande surprise ces gens détenaient un dossier complet sur Klaus et moi, connaissaient parfaitement toutes nos activités et ont été très heureux de pouvoir enfin discuter d’abord de leurs problèmes et un peu des nôtres avec l’un des intéressés (pour ne pas dire coupables). Au bout de trois heures de discussions pas toujours faciles, nous sommes sortis avec un accord de principe qui s’est concrétisé par un fax recopiant exactement la demande de la CADEA, nous autorisons à voler pour toute la saison au-dessus du niveau 195, sur demande du pilote jusqu’au FL 280 dans les tous espaces aériens contrôlés et donc avec plan de vol IFR en conditions VMC avec les mêmes contraintes que les années précédentes à savoir :

  • contact permanent radio avec le contrôleur de la FIR ou la tour de la TMA
  • transpondeur (peu importe le mode), VOR/DME/ADF ou GPS, et ELT
  • équipement de survie approprié à la zone survolée
  • équipement d’oxygène selon RAAC (pas de souci pour nous)
  • contact radio 10 minutes avant d’entrer dans tout espace aérien contrôlé
  • interdiction de pénétrer si le pilote ne maîtrise pas correctement la phraséologie en Espagnol ou en Anglais, cette dernière langue à la condition que le contrôleur la maîtrise également, dans le cas contraire ce sera l’Espagnol (en pratique la région Sud).

Le groupe de Chos Mallal a été également gâté puisqu’ils pourront voler jusqu’à FL 350 sans aucune contrainte ni radio ni transpondeur, mais confinés dans un volume autour de l’aéroport (tout est relatif, ce volume est aussi grand que la LTA Alpes françaises) et sans pouvoir pénétrer dans les voies aériennes.

Quelques jours plus tard j’étais appelé d’urgence par la contrôleuse de Mendoza qui, n’ayant pas bien compris le téléfax, croyait devoir gérer une multitude de planeurs dans les voies aériennes entre Ushuaia et Mendoza jusqu’à FL350 ! J’ai compris son inquiétude et il m’a été facile de la rassurer, d’autant que cette année nous n’étions que deux planeurs. Les caprices de la météo ne nous ayant jamais permis d’arriver jusqu’à la TMA de Mendoza, cette gentille dame risque de prendre les vélivoles pour des fous !

Ce concept de vol IFR spécial au-dessus de FL195 en conditions visuelles est particulièrement intéressant, sécurisant pour les contrôleurs et les avions ligne de passage, et ne présente pas de difficultés particulières pour des pilotes entraînés volant en biplace à condition de :

  • mettre dans la base de données tous les points de report IFR, qui se résument en fin de compte à une cinquantaine de points d’entrée des voies aériennes dans les cylindres des TMA, plus quelques points de frontière de FIR.
  • Se construire un fichier d’espace aérien sur une longueur de 3.000 km et une largeur de 1.500 km, en fin du compte plus simple que le mouchoir de poche qu’est le  sud-est de la France.
  • Savoir calculer des estimées vers les points de report IFR ou VOR demandé par les contrôleurs, en général toutes les 30 minutes. Cela n’a jamais été un problème puisque nos facteurs de base de croisière tournant entre 0,6 et 1 minute par nautique, pas besoin d’une règle calcul pour calculer ses estimées, SeeYou mobile se chargeant de calculer les distances. C’est la où nous apprécions les charmes du planeur biplace !
  • Ne pas hésiter à appeler le contrôleur avec suffisamment d’anticipation en cas de changement de programme, ou de gros retard dans une estimée (point bas ou problème météo). Les avions de ligne ayant des estimées très précises et pratiquement indépendante de la météo, les contrôleurs aimaient bien avoir une petite demi-heure de sécurité entre le passage d’un avion de ligne et d’un planeur au même endroit à la même altitude.
  • Ne pas hésiter à contacter l’avion de ligne directement pour connaître sa position, sa route et ses intentions. Tout en gardant bien à l’esprit que c’est le contrôleur qui donne les ordres, mais que si le commandant d’un avion de ligne lui suggère une solution, en général il l’adopte.

Ce protocole a parfaitement fonctionné avec les contrôleurs de la région centre (se trouvant physiquement à Buenos Aires) et gérant l’espace aérien allant de 200 km au sud à 400 km au nord, sur toute la largeur de l’Argentine. La qualité des communications radio est bonne sur toute la zone et quand bien même nous perdons le contact avec Buenos Aires, les contrôleurs des tours locales sont toujours disponibles pour faire le relais.

Les rapports ont été beaucoup plus complexes avec la région Sud, de Comodoro Rivadavia. Tout d’abord il existe un sentiment de rivalité entre le Sud et le Nord; comme partout au monde ceux du Nord considèrent ceux du Sud comme des méridionaux avec un petit sentiment de mépris ou d’infériorité, que ceux du Sud leur rendent bien en en faisant valoir leur indépendance jusqu’à la limite de leurs droits et parfois même au-delà. Et comme les dispositions nous concernant avaient été émanées par ceux du Nord sans concertation avec les « sudistes », tout ce qui pouvait être fait légalement pour nous mettre des bâtons dans les roues était systématiquement appliqué. Comme par exemple nous imposer une séparation verticale de 10.000 pieds avec un avion de ligne, alors que 1.000 auraient suffi, faire semblant de ne pas comprendre message radio, même retransmis en relais par l’avion de ligne, affirmer que notre plan de vol IFR ne leur a pas été transmis, bref ça n’a pas toujours été facile. Mais comme nous n’étions jamais pressés par le temps nous avons pris les choses avec philosophie et transmis nos impressions à qui de droit à Buenos Aires à notre retour.

La prochaine saison devrait être différente puisque par décret du Président de la république précédent (le mari de la Présidente actuelle), toute l’aviation commerciale et son contrôle seront transférés de l’armée de l’air à une nouvelle administration de l’aviation civile, qui devait prendre ses fonctions le 1er mars, date repoussée au 1er juillet. Il n’est malheureusement pas certain qu’un contrôle civil soit un avantage pour nous à moyen terme.

Cette année j’avais installé un PCAS Portable Collision Avoidance System, le Zaon MRX, qui indique la distance (jusqu’à 5 nm) et l’altitude relative de tout aéronef possédant un TCAS ou un transpondeur répondant à l’interrogation d’un radar. Cet appareil, plus petit qu’un Flarm, peut fonctionner sur piles.

Nous n’avons jamais eu à l’utiliser en gestion de conflits mais avons pu vérifier la présence d’avions dont nous connaissions l’existence. La distance maximale de 5 nm me paraît toutefois un peu faible pour gérer un conflit avec un avion de ligne arrivant face à vous puisque le pilote ne dispose à peine que de 30 secondes pour dégager avant la collision ! C’est vraiment très peu. Ce modèle de base (470 €) ne donne pas l’azimut des trafics proches, il faut passer au modèle XRX (1.700 € et un cockpit immune de champs magnétiques parasites) pour avoir toutes les infos. Ça commence à faire cher, d’autant que le Flarm, inutile en aviation générale, reste incontournable et donc nécessaire pour la séparation avec les seuls planeurs. Mais la sécurité n’a pas de prix. En Europe, il y a plus d’avions légers en vol que de planeurs, leurs pilotes sont moins habitués que nous à regarder dehors, d’autant qu’ils sont en général en contact avec un contrôleur qui leur donne les informations de trafic connu, les planeurs étant, à quelques exceptions près, inconnus. Je ne peux que recommander cet outil supplémentaire, totalement portable et autonome.

L’anecdote la plus significative de la bonne collaboration des contrôleurs de la région centre pourrait être notre sortie de la TMA par le sud avec un plan de vol IFR entre les niveaux 130 et 230. Nous devions passer par le point de report TORRES, situé à 35 nm au sud et en plein milieu de la voie aérienne venant d’Ushuaia. En face de nous le vol Austral en provenance d’Ushuaia s’annonce au FL300 à 100 nautiques au sud et demande l’autorisation de descendre au niveau 100 par le point Torres. Le conflit est évident et la contrôleuse de Bariloche lui demande de retarder sa descente. Le pilote de l’avion de ligne commence à protester contre la présence de planeurs dans les voies aériennes, mais la contrôleuse lui répond que nous sommes sous plan de vol IFR et que c’est elle qui décide. Ce monsieur insiste pour nous éjecter de la voie aérienne, la contrôleuse répond calmement que s’il le désire, il est autorisé à passer en VFR, sortir de la voie aérienne et descendre comme bon lui semble. Ce qu’il décline poliment, nous ne l’entendrons plus sauf lorsqu’il demandera ironiquement la position de « El Señor del planeador ».

L’anecdote la plus significative de la mauvaise collaboration avec les contrôleurs de la région Sud pourrait être l’imposition d’une séparation de 10.000 ft avec un avion qui était déjà passé et se dirigeait vers le nord alors que nous allions vers le sud. Probablement cette contrôleuse n’avait jamais géré de sa vie un avion de ligne et un planeur dans la même voie aérienne ni n’avait la moindre idée de ce qui signifie 40 nautiques au Sud d’un point avec une route Sud (nous) et la verticale de ce même point avec une route Nord (l’avion de ligne). Toutes mes tentatives d’explications sont restées vaines jusqu’au moment où c’est le pilote de l’avion de ligne qui a pris l’initiative de convaincre la contrôleuse de Comodoro en disant qu’il nous avait vu (sans doute au TCAS) et que le conflit était résolu. Comme quoi il y a quand même des commandants de bord sympathiques, même chez Austral.

Jamais eu aucun souci, au contraire, avec les avions de la compagnie LAN (propriété chilienne), dont le responsable de la sécurité est un vélivole, et qui impose de suivre strictement les consignes publiées dont nous avons copie à bord.