NB: tous les vols cités dans cet article sont téléchargeables sur notre site ainsi que sur Netcoupe avec rapport de vol.

Alors que la principale nouveauté météo de l’année passée a été la position anormalement sud de l’anticyclone du Pacifique, dont le centre était pratiquement à la latitude de Bariloche, la nouveauté du printemps 2008 a été que, en plus du maintien de l’anomalie précédente, la basse pression normalement centrée sur l’Atlantique à notre latitude a été remplacée par un anticyclone qui n’a pratiquement pas évolué pendant toute la saison. Selon mon expert en météorologie, la cause plus probable serait une augmentation de la température superficielle des eaux de l’Atlantique entre le 30e et le 40e parallèle Sud, ce qui ne me convainc guère car en Méditerranée cette cause produit un effet opposé. Peu importe, cette situation de blocage, quelquefois même accentuée par un anticyclone présent sur le continent, a fortement gêné la circulation régulière des fronts polaires qui eux ont tourné régulièrement. Ce qui n’a pas empêché de voir se former des fronts froids entre ces deux anticyclones, créant des intervalles de circulation rapide entre périodes de pause de quelques jours.

La fig, carte TEMSI du 15 décembre au matin, représente la figure typique de la situation des centres de pression et des fronts (Bariloche se trouve à 41° de latitude et 70 de longitude, l’heure locale est UTC -3 alors que l’Europe est UTC + 1). Il est difficile d’imaginer qu’avec une telle situation on puisse avoir, comme nous l’avons vécu, 180 km/h de vent à 7.000 m !

La fig. interprète la photo satellite et met bien en évidence la présence d’un jet stream au sud de notre verticale dans un flux totalement anticyclonique. Inutile de vous cacher mon inquiétude lorsque, arrivé au km 230, mon bon vieux Zander m’indique 177 km/h de vent dont 150 de composante de face sur la route du retour !

Il est déjà 17h30 et le demi-tour me semble la solution la plus raisonnable compte tenu des incertitudes car je n’ai jamais volé avec un tel vent, mon tableau de calage et finesse s’arrête à 120 km/h de vent de face, et déjà pour cette valeur il me faudrait voler calé à +5 avec une finesse résiduelle d’environ 10. Le retour va être sportif ! La découverte du jour sera qu’avec un tel vent l’onde semble laminée et les Vz sont plutôt molles, entre 0,5 et 1m/s (à 170 km/h en vol stationnaire). De la même façon la longueur d’onde est énorme et il me faut voler très loin dans la plaine, à 34 km de la trace habituelle du premier ressaut. La deuxième découverte sera que faire du vol stationnaire contre 170 km/h de vent est extrêmement difficile voire impossible si l’on ne dispose pas des outils sophistiqués comme Zander ou mieux encore SeeYou Mobile en page de centrage avec une échelle de 2 nm. En effet le moindre écart de cap par rapport au vent vous fait dériver de plusieurs kilomètres en quelques secondes et le retour est bien douloureux ! Nous mettrons 3h30 pour faire ces 230 km.

Le côté positif de l’anomalie météo étant que nous avons pu vivre la naissance et l’exploitation intense jusqu’à la nuit de magnifiques sauts hydrauliques (celui que j’ai baptisé le saut de Bidone par analogie avec la découverte de cet hydraulicien du XIXe siècle) et finalement, n’étant pas soumis aux contraintes du chronomètre, j’ai eu l’immense chance de pouvoir vérifier deux hypothèses : 1) la conversion de l’énergie cinétique en énergie potentielle (ou plus exactement géopotentielle) existe bien: nous avons pu voir le vent tomber de 60 à 1 km/h en quelques kilomètres et 2) le front du saut n’a aucun rapport avec l’orographie (souvent plus de 30° avec rotation anti-horaire entre l’axe du front et la ligne de crête et passe allègrement de 200 km à l’intérieur de la plaine jusqu’à 50km au vent de la ligne de crête). J’ai également pu vérifier que le bord d’attaque du cirrostratus ondulatus matérialisant le saut n’est pas une ligne continue comme l’est celle d’un lenticulaire, mais une suite de pointes qui le font ressembler à un gigantesque peigne. Ce dernier aspect m’était apparu lors de vols précédents mais je n’avais jamais eu la possibilité d’aller toucher ces peignes avec mes propres ailes (vers 8.000 m). Ce phénomène météorologique mérite plus qu’un paragraphe dans cette rubrique et je compte bien approfondir spécifiquement cette étude dans un prochain numéro.

La vérification de la première hypothèse a eu lieu le 5 janvier sur un triangle de 1.200 km réalisé comme prévu, moitié sud moitié nord. Alors que dans la moitié sud le vent était d’environ 100 km/h sans aucune matérialisation de nuages élevés, le début de la moitié nord se caractérisait par une chute du vent vers 50 – 60 km/h au nord de Bariloche puis 40 – 50 km/h au nord de San Martin. La lecture du ciel se fait alors plus complexe, un saut hydraulique semblant prendre naissance: cirrostratus en formation à partir d’une ligne bien définie, un pseudo bord d’attaque, la couverture nuageuse s’intensifiant sous le vent au point que la plaine est à l’ombre sur des centaines de km.

La photo, prise vers 18h à 5.500 m à 80 km au sud de Zapala en regardant vers le nord, montre bien l’existence des deux systèmes dynamiques : des rotors classiques d’onde de ressaut (les plus blancs à l’étage inférieur), un rotor mal défini gris semblant tourner à l’envers au milieu de l’image, conséquence d’un gradient de vent négatif donc témoignage  probable d’un saut hydraulique, des lenticulaires de ressaut bien identifiés avec bord d’attaque et bord de fuite bien définis et matérialisation de la sinusoïde à l’étage moyen, et enfin la couverture par cirrostratus du saut de Bidone à l’étage supérieur vers 8.000 – 10.000 m dont le bord d’attaque est en forme de peigne composé de langues très étroites, longues de plusieurs kilomètres, sans bord de fuite, pouvant s’étendre jusqu’à l’Atlantique.

Sous le vent de la Sierra de Catan Lil, j’observe que le vent tombe à 10 puis 1 km/h pendant plusieurs minutes figure, ce n’est donc pas une erreur de calcul !

Une rapide recherche et voila le vario qui s’affole. Superbe, nous avons trouvé le cœur du saut hydraulique, là où toute l’énergie cinétique se convertit en énergie (géo)potentielle, finalement la preuve que j’attendais depuis des années! Le reste du vol dans le front du saut, avec un vent de seulement 35 km/h est un délice pour les yeux et un délire pour l’esprit, sauf que le point de virage et à 30 km sous le vent du bord d’attaque du saut et faire une verticale signifierait passer du paradis à l’enfer car le nuage s’écroule avec probablement pluie et neige, ça n’est pas pour moi.

J’en profite pour vérifier la deuxième hypothèse et j’exploite le règlement FAI qui autorise à tourner au-delà du point à n’importe quelle distance dans un secteur de 45°, passant à la verticale du lac Caviahué, pratiquement à la verticale de la chaîne des Andes et donc dans un système dynamique qui n’a aucun rapport avec le ressaut sous le vent. Cette hypothèse sera vérifiée lors de tous les vols dans le saut de Bidone.

Lors du retour, le cirrostratus du saut s’est épaissi jusqu’à engloutir les lenticulaires de ressaut et la totalité du nuage s’est écroulée vers la plaine, voir photo prise vers 19h35 à 7.000 m en regardant vers le sud travers Loncopuhé.

Une autre surprise agréable a été de pouvoir exploiter des ressauts par des vents de secteur sud à sud-ouest (180 à 210°) orientés de 60 à 90° par rapport à l’axe de la chaîne qui lui donne naissance. La photo C6 prise à 22h39 le 6 janvier vers 5.000 m montre un système dont nous avons vécu la formation dans le quart d’heure précédant  (les lenticulaires sont encore translucides) déclenchée par la pointe nord du cordon de Esquel. Ces belles assiettes ne sont pas positionnées comme d’habitude sous le vent de la chaîne à la verticale de la route que l’on voit sur la photo, mais en plein milieu du trou qui sépare cette chaîne de celle de Maiten. L’aile est volontairement orientée plein sud, le vent est du 200° pour 100 km/h. Certes les Vz ne sont pas très élevés mais ces conditions inhabituelles permettent de faire des vols touristiques d’une extraordinaire beauté à l’intérieur même de la cordillère, voire même côté chilien, alors que l’une des conditions des vols de record est que toute la cordillère soit dans les nuages donc invisible.

L’apothéose, le bouquet final de cette saison, a été la soirée du 15 janvier, une journée qui devait être juste bonne pour le baptême de l’onde d’un parapentiste français des premiers heures, guide de pêche à Bariloche. Décollage vers 16h locales après le café, parcours classique en surf sur les rouleaux jusqu’aux km 300 au sud et c’est en revenant à proximité de Bariloche vers 20h loc. que nous vivons la formation d’un saut de Bidone absolument monstrueux et dont le front s’étend au-delà du volcan Lanin, 200 km au nord. Le soleil couchant génère des couleurs absolument extraordinaires, couvrant toute la palette de l’arc-en-ciel depuis le rouge orange face au soleil, au bleu intense à la verticale en passant par le noir sous le vent des lenticulaires. Le contrôleur nous ayant autorisé le niveau 280, j’en profite pour aller photographier les fameuses langues qui caractérisent le front du saut (PHOTO C9). Pendant que les terriens s’extasient devant ce phénomène (photo X2 du début de cet article), je crains que l’altitude et le spectacle ne m’aient fait perdre la raison car arrivé au bout du front près du volcan Lanin au km 150 de Bariloche avec 44 minutes avant la nuit aéronautique, me voilà parti sous le vent pendant 30 km pour aller faire une expérience.

Autant j’aurais pu rentrer effectivement à plus de 200 de moyenne si j’étais resté dans le front du saut, autant cette moyenne n’était plus tenable en sautant de lenticulaire en lenticulaire et de plus les varios sont faibles. Il ne faut pas plus de quelques minutes pour réaliser que j’ai fait une co…rie, mais ces quelques minutes sont de trop et deviendront au moins quinze si je persévère. Inutile de prendre des risques en rentrant de nuit même si la chose était techniquement possible. J’aurais dû payer la taxe pour l’ouverture de l’aéroport en heures supplémentaires, ça aurait fait cher du baptême de l’air! Klaus vient de se poser et me rappelle qu’il me reste à peine 10 minutes avant la nuit noire, le temps de photographier le spectacle depuis nos 5.000m (photo C10) et c’est le plongeon sur Chapelco où nous atterrissons exactement dans la minute de la nuit. Merci à Klaus et ses copains pour leur aide ! NB: je vous donne ma parole que les photos ne sont pas retouchées!